dimanche 9 mai 2010
Avoines bleues
Ébouriffées
Trois avoines folles
Au vent se pavanent
Trois reines en goguette
Touffes en panache
Attendent un train
Qui ne passe pas
Trois mésanges affairées
Grapillent non loin
Quelques larves qui vaillent
Pour l'hiver qui vient
Cour de presque automne
Des samares au vent
Mille jeunes pousses
Des cormiers en lisière
Des grappes fermentées
Quelques oiseaux ivres
Un amélanchier de nulle part
Quelques ronces odorantes
La verge d'or s'étiole
samedi 8 mai 2010
Premier été
Il y eut aussi les noirs, les gris et les bruns.
Surgirent ensuite les blancs de terre et les bleus de ciel.
Vint enfin le vert le jour où vint la vie.
Il mollifia le blanc, réchauffa le bleu,
Attendrit le rouge et le noir,
Adoucit les gris, les bruns et les orangés.
Des arbres on ne vit bientôt plus que leurs troncs dressés desquels s'élançaient des branches fortes vers le ciel en quelque au-delà, loin, très loin des cimes opaques. Ainsi débuta sous une sombre lumière la fervente célébration païenne qui dura tout un été.
mardi 4 mai 2010
La part d'ombre
Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait "la part d'ombre".
lundi 3 mai 2010
Bibliothèque municipale
Je regarde l'heure
Deux livres à la main
Une souris blanche
Dort sur son tapis
On ferme à vingt heures
La planète en boule
Trône sur l'étagère
Du monde en feuillets
La poussière fine
Des livres décatis
Me prend à la gorge
Je devine soudain
Que dehors m'attend
Il fait nuit déjà
dimanche 2 mai 2010
vendredi 30 avril 2010
Fenêtre d'hôpital
jeudi 29 avril 2010
D'encre et de couleurs
J'aime aussi la pause obligée quand vient le temps d'accomplir avec lenteur et attention cette tâche délicate qui consiste à remplir le réservoir du stylo avec toutes les lettres non encore écrites et les mots non encore dits. Tout alors est encore possible.
Hier j'ai changé de couleur d'encre. Jusque là j'écrivais en noir. Depuis j'écris en bleu-noir. La couleur de l'encre module-t-elle l'écriture ? Influe-t-elle le choix des mots selon leur forme, leur sonorité, leur sens ? Y aurait-il dans la couleur de l'encre une subtile force évocatoire ? La prochaine fois, j'achèterai une bouteille d'encre bleue. Et de la verte ? Peut-être pas. Je me souviens, il y a longtemps, très longtemps, avoir utilisé de l'encre verte et n'en avoir éprouvé aucun plaisir sinon celui que procure le fait de prétendre à la distinction.
"Vous n'avez qu'une vie à vivre. Pourquoi ne pas la vivre en blonde ?"
Miss Clairol
"The book is in the pen." = "Le livre est dans le poulailler."
Mrs Clairol
Parole de dieu
mardi 27 avril 2010
Le monde
Il fut un temps où cette ville était belle comme le sont les femmes mûres dont l'âme, pour un temps apaisée entre les affres de l'adolescence et les ignobles tourments de la vieillesse, se manifeste dans l'insolente aisance du port, la folle assurance des mouvements, l'élégance hardie du regard, l'audace souriante de la voix. En ce temps où Grand-Mère était une femme mûre, à la sagesse frondeuse, je découvrais le monde en m'émerveillant de la diversité des oriflammes suspendues aux cordes à linge les lundis de lessive, en m'interrogeant sur le propriétaire improbable d'une lourde voiture à cheval remisée depuis des temps pour moi immémoriaux dans un hangar derrière la maison et que l'on devinait en plongeant le regard dans l'échancrure d'une porte toujours entrebâillée, en écoutant attentivement sans y rien comprendre, parce que tenues dans une langue qui était aussi la mienne mais dont tant de mots, d’expressions, de tournures m’étaient étrangers, les conversations entre Ti-Noir et T-Bi, l'un originaire de Weymontachie, l'autre de l'Abitibi et qui tous deux parcouraient le monde au delà du moulin, sans jamais partir pour plus de quelques heures, au volant de voitures taxis qu'ils conduisaient pour Venant, le propriétaire de la petite flotte.
Il y avait dans ma cour un monde: des hangars de bois de dimensions et de formes diverses dont plusieurs étaient inutilisés; derrière le magasin de fruits, un logement habité par un couple de gens très âgés qui survivaient grâce à la débrouillardise et à l'ingéniosité de la vieille, à son jardinet et à ses quelques poules; une maisonnette dont le numéro civique était suivi de la lettre "A" et qui fut habitée un court moment par une vieille femme, folle peut-être: un cabanon dans lequel les chauffeurs de taxi roupillaient entre les courses malgré les sonneries du téléphone; les entrées de service d'un restaurant "cuisine canadienne et repas légers" et d'une pharmacie de quartier dans laquelle officiait, taciturne, l'oncle de Ti-Pierre, mon voisin de palier et camarade de jeux, dont le père fumait des cigarettes qu'on disait américaines; un longiforme réservoir de mazout à moitié enterré et qui donnait sur un mur aveugle de l'immeuble voisin, lequel logeait un grand magasin de vêtements pour hommes et femmes dont on disait qu’il était le mieux pourvu de la ville; un sentier peu fréquenté qui allait depuis l'arrière du cabanon des taxis jusqu'à la cour de la vieille maison sombre du cordonnier Petit, un homme malingre affligé d'une forte claudication et qui, pour cette raison, inspirait de grandes frayeurs à tous les petits.
C'était un univers de revenances, de survenances et de partances tel que ne me vint pas, en ces temps d'une rondeur pleine, l'idée d'escalader ce mur presque oublié qui fermait le passage entre deux hangars et du haut duquel j'aurais peut-être pu apercevoir l'Amérique toute entière si toutefois j'avais pu soupçonner qu'il se pouvait exister ici ou ailleurs un Autre Monde qui ne fût pas ma cour.
_________________________
* "castor": pièce de cinq cents
dimanche 25 avril 2010
Printemps 3
jeudi 22 avril 2010
Ma fenêtre
J'ai vu l'écureuil noir
Son frère le bouleau blanc
Ici le rouge du bourgeon qui pointe
Là l'ébauche de la feuille esquissée
Sous l'ostryer, le hêtre, l'érable et le frêne
Se dressent courbées l'érythrone discrète et le trille fantasque
Sous les pierres grises et dans les flaques frileuses
Se languissent de vivre des fièvres ardentes
Dans le pré voisin
Le lombric danse, le merle chante
Un vent tiède et chaud ranime les chaumes
L'air est miel lors que j'ouvre ma fenêtre
Pluie d'avril
Tombent, chantent, ruissellent, et s'en vont
Les verts odorants.
lundi 19 avril 2010
Quand je vis le menu
Menu: petit diamant taillé en brillant ou en rose.
Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait d'écrire, en prose ou en vers, un texte commençant par l'incipit : "Quand je vis le menu".
dimanche 18 avril 2010
Partance
Ourdir des délires espiègles
Lustrer de noires espérances
Craindre le courroux des fleurs
Au risque de se repaître d'illusions.
Nouvelle partance à demeure
Sans âmes mortes, ni coeurs légers
Délivrance
(AP, 17 avril 2010)
Des monts acérés ont jailli des sortilèges
Les crêtes et les flancs ont fulminé
Comme de rage contenue
Les glaces ont repris le chemin des eaux
Se sont cailloutées les nues laiteuses
Comme volée d'oies cendrées
Le ciel s'est tu, toute migration cessante
La mise aux arrêts des foules agitées
Confine l'homme à son cloître
Le contraint à sa délivrance
samedi 17 avril 2010
Printemps 2
S'étale la cendre des feux anciens.
Derrière les rameaux
Se taisent les branches.
L'herbe verte pointe qui masque le chaume.
Mes joies tout à coup frissonnent
Et se ternissent les lustres des plaisirs éteints.
L'été encore s'apprête à farder la constance de l'hiver.
Murs
Qui suinte des murs de l'ennui.
Le jour et la nuit, tout autant que les dieux,
Ne chantent ni ne dansent,
Ne sachant rire ni mourir.
vendredi 16 avril 2010
lundi 12 avril 2010
Tanka 1
Le grattouillis de la plume
Sur les mots qui sèchent.
- Ne vivent que les bourgeons
Loin des fenêtres closes.
vendredi 9 avril 2010
Célébration de l'An 1 du Grand Malak
Malak City, 8 avril 2010 - Les Malaques célèbrent aujourd'hui dans l'euphorie l'arrivée de l'An 1 du Grand Malak. On se souvient qu'à cette même date l'an dernier la population des Îles Malaks, cet archipel paradisiaque de l'Océan Turpide, perdait son Président, le Grand Malak. Les sujets du Bien-Aimé avaient été vite rassérénés par l'héritage vivant que leur laissait le Président. Voici d'ailleurs le dernier texte écrit de la main du Grand Malak avant son décès. Il s'agit du dithyrambe successoral traditionnel rendu public aujourd'hui en même temps qu'une distribution de sardines Brunswick au citron et à la moutarde (1).
Vous êtes plus que ce que nous sommes et ne fûmes jamais.
Vous êtes né avant que le siècle dernier ne sache qu'il s'achevait. Vous êtes le devenir du monde. Nous l'avons été.
Vos ailes sont larges et fortes. Vous volez et volerez plus haut, plus loin que jamais nous ne le fîmes ni ne le ferons.
Votre détermination est grande. Votre force inépuisable. Vous survolerez, et le savez, des mers et des mondes de nous insoupçonnés.
C'est à raison que vous trépignez d'impatience par nous contraints de languir après le futur qui tarde.
Contenez vos pleurs, votre rage. Célébrez votre âge, nous partons. Vous êtes les temps modernes et s'achève l'âge sombre.
Il nous tarde de partir et de vous laisser au monde en héritage.
Sous peu nous ne serons plus. Tous saurons que vous êtes.
Notre sortie sera votre entrée. Notre éclipse illuminera la terre de vos feux.
De l'Espagne, du Portugal et de la Grèce même, vous ferez des fiefs. Le Maure en son califat vous célébrera. Et la seule évocation de votre magnificence suffira à ternir l'éclat de tous les trésors de l'empire Moghol,
Par dessus tout, le peuple aimant vous acclamera à jamais, le soir, au fond des bois, ô Grand Cor Malak, assouvissement de toutes les espérances.
(1) Les sardines BRUNSWICK sont des harengs juvéniles du Nord de l’Atlantique qui mesurent de 13 à 18 cm (5 à 7 po) de longueur.
Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Le thème de la semaine: le dithyrambe.
dimanche 4 avril 2010
Très-Saint-Père
mercredi 24 mars 2010
Le bon docteur S.
lundi 22 mars 2010
Lumière hivernale
Sous l'éclatante lumière hivernale, des lampadaires éteints projettent leur ombre sur la neige. Le vieil homme enjambe machinalement ces fêlures grises comme il évitait enfant de marcher sur les interstices entre les dalles de l'unique trottoir de macadam de son village. Au Nord où il vit maintenant l'hiver est tout autre qu'en son pays d'enfance. Les jours y sont courts, les nuits longues. La lumière y est crue, l'obscurité vive. Y règne la droiture du froid.
Chaque croisement d'ombre le ramène un peu plus loin. D'où il vient. D'où il est. Dans le Sud où il a vécu des jours sombres et des nuits blanches sous la morne lumière hivernale des lampadaires qui difficilement perçait les fumées âcres des dépôts d'ordure le long desquels il errait le jour et dont les images le terrorisaient la nuit. Le terrorisent encore.
Un chien jappe tout près. Demain il se fera conduire de Corner Brook à Gros Morne où il pourra poursuivre son errance parmi de spectaculaires structures géologiques qui y témoignent de la tectonique des plaques.
Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait d'inclure dans son texte "sous la morne lumière hivernale des lampadaires".
lundi 15 mars 2010
La dernière voltige
Ce ciel étale dont la courbure parfaite s'alanguit
Cette claire caresse des nues qui se travestit en volutes sombres
Graves tourbillons des ombres qui montent
Lourde occlusion du ciel qui s'affaisse
S'avancent les trombes
Éclatent les foudres
Qu'enfin dans une bruine inaccessible
Se dissolve le feu en un arc éphémère
Nous mourrons de nos naissances
Comme s'allument les eaux
A las cinco de la tarde de nos jeux icariens
Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait "le feu en 200 mots (environ)".
lundi 8 mars 2010
Il a plu
- un choix entre "plaire" et "pleuvoir". Le texte devait nécessairement commencer par ces trois mots: "Il (ou elle) a plu..."
- On peut lire les résultats de cet exercice sur http://www.impromptuslitteraires.fr
Il a plu des éclats de soleil. Par milliers. Puis l'obscurité imposa sa présence. Un voile blanc. Léger d'abord. Puis de plus en plus opaque. Gris ensuite. Noir enfin.
Et dans le noir, un bruit sourd. Un roulement venu de loin. Un long craquement à mi-course. Un coup sec à terme. D'une force inouïe. Le silence à la fin. Blanc.
Nous avions à peine eu le temps de gagner les abris que déjà le souffle rasait tout sur son passage.
Jamais plus je n'entendis Ella chanter "Isn't this a lovely day to be caught in the rain".
mardi 2 mars 2010
Les mères de notaire II
Ce cri alors m'est venu témoin que j'étais de la relation d'une jeune mère avec son fils. Appelons-la Êve, appelons-le Justin. Il avait presque trois ans. J'étais choqué par la relation de Êve avec son fils. J'étais constamment outré de voir comment elle prétendait lire en lui, lire ses émotions, ses sentiments, ses pensées. En réalité, ce qu'elle faisait c'était non pas lire mais écrire en lui ce qu'il était sensé éprouver, sentir, penser. Elle se donnait à ses propres yeux et à ceux des autres l'image d'une mère à l'écoute de son enfant, d'une mère qui aide son enfant à se découvrir. Mais c'est elle qu'elle écoutait tout en inventant un enfant qu'elle imaginait. Tout en lui martelant la cervelle et le coeur et l'âme pour qu'il devienne ce qu'elle croyait qu'il était. Elle prétendait connaître tous les ressorts de ses actes à lui l'enfant. Dans les faits elle dictait, imposait à Justin l'interprétation de ses actes. Elle l'expropriait de lui-même. L'enfant bien sûr résistait. Fermement. Durement. Violemment. L'enfant refusait avec raison de s'en laisser tant imposer.
C'est évidemment à ma mère, à ma relation à ma mère que me renvoyait la virulence de Êve à donner le sens, la résistance de Justin à cette imposition. Maman avait d'autres façons d'imposer le sens. Mais elles étaient tout aussi violentes d'autant plus qu'elles étaient sourdes. J'imagine que Louise, ma soeur aînée, devait ressembler à Justin dans ses refus d'être définie par la volonté d'autrui. Elle n'était pas que rétive. Elle ruait. Pour ma part j'ai adopté une résistance passive, silencieuse. Laissant dire et laissant faire. Me renfermant dans une coquille protectrice. Je parlais peu. J'ai peut-être appris de mon père cette forme de résistance.
J'ai tant vu de ces mères despotes et geôlières d'âmes que j'en suis à me demander comment certaines peuvent parvenir à échapper à ce rôle, peuvent parvenir à considérer que leur enfant n'est pas qu'un prolongement d'elles-mêmes. Comment certaines parviennent-elles à vraiment accoucher, à vraiment rompre le cordon, à vraiment donner la vie à un enfant et à la lui laisser.
J'ai tant vu de ces mères que je me demande pourquoi on parle si peu du meurtre de la mère et tant du meurtre du père. Mais mon propos n'est pas là. Ma question est ailleurs. Que peut faire le père d'un enfant qui a une telle mère? Qu'aurait pu faire mon père au lieu que de se taire, qu'aurait pu faire mon copain Claude au lieu que de se taire, que fais Marc, le conjoint de Êve, pour donner à Justin une chance d'être? Que pourrais-tu faire, mon fils, si la mère de ton fils était telle? Ta mère n'était pas ainsi, que je me souvienne. Ou si elle l'était, ce n'était pas avec autant d'intensité. Je n'ai pas eu comme père à contrer cet emmurement. Comme fils, oui.
lundi 1 mars 2010
La belle de Cap-Chat
- Si on vous dit "captcha" vous pensez à quoi ?On peut lire les résultats de cet exercice sur http://www.impromptuslitteraires.fr
Il y a loin de Montréal à Matane. Plus de 600 km de fleuve. Il y a loin de programmeur chez Ubisoft, dans le Mile-End montréalais, à pigiste chez Gagnon Enseignes, dans le parc industriel de Matane.
J'ai découvert la belle Doris au café Romolo, loin, très loin de sa Gaspésie. J'ai d'abord entendu son accent, sa musique de bord de mer. Et puis j'ai vu ses yeux comme un horizon lointain. Elle m'a dit qu'elle n'était que de passage à Montréal et qu'un monde séparait le Romolo de la cantine Chez Jacynthe où elle aimait traîner là-bas dans son pays d'estuaire.
C'était en mars. Nous sommes en juin. Je viens d'arriver à Matane. Je commence lundi chez Gagnon Enseignes. J'ai toujours avec moi le carton d'allumettes du Café Jacynthe, à une heure de route d'ici, où j'irai moi aussi flâner dans l'espoir d'y retrouver Doris, la belle de Cap-Chat.
dimanche 28 février 2010
samedi 27 février 2010
Une ville triste
Malgré la neige abondante des derniers jours, les trottoirs sont bien dégagés. Le temps est doux. Au début je marche d'un pas vif, face au nordais, évitant les flaques d'eau que la fonte rapide des bancs de neige multiplie aux intersections. Je marche tête haute.
Sentant une lourdeur m'envahir j'ai ralenti le pas à la hauteur de l'église devant laquelle j'ai grandi. Ma respiration aussi se fit plus lente. Un peu plus loin, à la hauteur du "Bravo Pizzeria", une vieille dame dans un manteau trop grand pour elle et trop chaud pour le temps s'était arrêtée presque sous l'enseigne lumineuse éteinte à cette heure malgré la grisaille du jour. Elle portait aussi un bonnet de laine d'un vert encore foncé quoique délavé dont la couleur défraîchie rejoignait presque celle du manteau long qu'on pouvait soupçonner d'avoir déjà été marine. Le lacet trop long d'un de ces bottillons, comme ceux que portent les marcheurs, était détaché et pendait tortillé sur le sol. La vieille appuyée sur sa canne fixait l'enseigne tout en haut comme pour déchiffrer un sens caché derrière "steak et fruits de mer" écrit en lettre de feu. Elle ne broncha pas quand je passai près d'elle.
À quelques pas de là les anciennes vitrines de ce qui fut "chez Lampron", tabagie, plomberie, librairie et salle de quilles tout à la fois, sont maintenant habillées de stores verticaux donnant ainsi un peu d'intimité au "Café de l'amitié". Sur les vitres, sont collées des affichettes indiquant qu'on peut trouver ici de l'aide psychologique. Rendu face au rocher en forme de grand-mère qui donna son nom à la ville à la fin du XIXe siècle, je rebroussai chemin. Malgré le vent de dos, mon pas n'avait cesse de ralentir, mes épaules de se vouter, ma tête de se faire plus lourde.
Cette ville est triste de se mourir. Et je lui ressemble. Elle n'a plus d'âme depuis longtemps. C'est de cela qu'elle se meurt. Je ne devrais pas marcher seul sur la rue principale. La prochaine fois, je marcherai avec un copain et nous parlerons technologie et rénovation domiciliaire. Il fera peut-être plus froid. Il fera peut-être soleil. Nous parlerons d'autres choses avant de nous arrêter à "La place du Café". Il y aura là le patron du café qui pitonne son ordi en attendant que le travail reprenne au printemps à son atelier de fabrication de quais de bois, la patronne qui nous accueillera de son habituel "salut les gars", le retraité de la Consol qui sirotera son capuccino sucré, un vieux tireur de joint venu prendre deux toasts et un café avant d'aller donner la dernière couche, une dame presque aveugle qui en sortant s'arrêtera longtemps devant les pâtisseries pour s'imprégner de leur image toujours plus floues avant qu'elles ne disparaissent pour de bon.
vendredi 26 février 2010
Citation 1
Albert Camus, L'homme révolté
mercredi 24 février 2010
L'archiprêtre, le clerc et les lais
Ce texte a d'abord été écrit pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait :
- de reprendre l'incipit du dernier roman de Christian Oster "Chaque matin, vers dix heures, je me levais..." pour commencer votre texte.
- d'y glisser également son titre "dans la cathédrale".
L'archiprêtre, le clerc et les lais.
Chaque matin, vers dix heures, je me levais pour accueillir le grand insipide, "Bonjour monsieur le directeur", qui venait par lui-même évaluer la performance d'une équipe de cancrelats dont la tâche consistait à recevoir les appels de niquedouilles appâtés par une pub télé vantant les mérites d'une racine merdique aux propriétés d'autant plus désirables qu'elles demeuraient mystérieuses. On exigeait d'eux qu'ils ferrent le nigaud à trente à l'heure: conclure la vente, noter le numéro de carte de crédit, l'adresse de livraison et flagorner le lièvre. Trente à l'heure c'était le plancher.
La salle tout en long comportait deux rangées de minuscules bureaux à cloisons. On asseyait le cancrelat sur une stalle devant un écran plat et un clavier aux touches élimées. On l'attifait d'un casque d'écoute de mauvaise qualité et vogue la galère de la petite flibuste. À les voir ainsi sur deux rangs ânonnant de conserve, on aurait cru le choeur d'une abbaye. Ils n'étaient ni moines, ni même moinillons, mais convers. Ils étaient lais, j'étais clerc. Et le directeur chaque matin, vers dix heures, faisait son entrée dans le petit temple de l'arnaque comme l'archiprêtre dans la cathédrale.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Mais à cette époque je ne soufflais la bougie qu'à l'aube. J'étais équipé pour veiller tard si bien que ce matin là je n'arrivai au bureau qu'après la rafle au cours de laquelle on coffra trente sans-papiers. Le grand insipide depuis son auto qu'il avait garé sur le trottoir en face de sa cathédrale avait déjà passé commande de trente lais auprès de l'agence et recruté un nouveau clerc. Je n'avais pas la vocation et le jour avançait. Ce matin-là je n'allai pas chez les putes.
mardi 23 février 2010
Créatures et créateurs
Je n'ai jamais compris ces hommes qui d'un coup de langue vous caractérisent. Point à la ligne. Je ne les ai jamais compris, dans ce sens où je n'ai jamais vraiment saisi comment ils parviennent à rendre leurs descriptions plus vraies que la réalité qu'ils décrivent. Le plus souvent ils m'ont fait chier. Quelques fois mais en secret, loin dans ma Ford intérieure, j'ai admiré leur habileté à esquisser d'un trait votre personnalité. Ou ce qui à leurs yeux en tient lieu. Leur force créatrice me fait chier de dépit. D'envie. En quelques mots ils font de vous un personnage autour duquel se bâtit un récit de par la seule force d'évocation concentrée dans l'éjaculat précoce de leur pensée réductrice. Mais quelle efficacité !
Les événements aussi ils les maîtrisent avec la même adresse. Et vlan! Vous voilà propulsé dans la réalité. Vous perdez tout caractère fictionnel de par la vérité de toutes pièces inventée de vos propos et surtout de vos actes dont le sens est donné comme une révélation. La Révélation. À les écouter vous devenez une religion dont vous êtes le prêtre et le fidèle tout à la fois. Ils en sont les dieux.
Ils vous apprennent enfin qui vous êtes, avez été, serez. Deo Gratias. Tandis qu'ils vous inventent et font de vous des témoins de votre propre existence vous comprenez que le doute ne peut exister dans cette poix noire, épaisse. Anathema sit celui qui n'embrasse pas la nouvelle religion dont vous êtes le héros.
Ne pourraient-ils pas se contenter d'inventer des histoires que je me plairais à écouter ou à lire.
dimanche 17 janvier 2010
Page blanche et sans titre
J'ai quatre ans. On me l'a dit. Quatre et demi pour sûr. J'ai descendu les deux sections du long escalier de bois qui depuis le logement du troisième mène à la cour arrière que nous partageons avec Ti-Noir, Ti-Bi de l'Abitibi et les autres chauffeurs de Grand-Mère Taxi. Je suis passé devant l'entrée de service du Ritz, cuisine canadienne et repas légers, puis ai longé le long mur aveugle qui va de la cour à la rue. Un taxi de retour d'une course, une grosse Dodge de l'année, une 1949 noire comme celle que nous avions prise pour aller voir « matante sœur » à Québec, m'a croisé en regagnant le cabanon au fond dans lequel s’installent les chauffeurs dans l’attente du prochain appel, Là où la cour rejoint la rue, en pleine lumière, j'ai pris le trottoir sur la droite. Suis passé devant l'entrée du Ritz. Mademoiselle Cadotte joue les étalagistes dans la vitrine de la Pharmacie Deschamps. La belle jeune femme me regarde avec douceur. Je lui rends son sourire. Il fait bon, je m'arrête. L'air est doux. Je lui tourne le dos pour observer le bonhomme Lafrenière balayer la rue, le long du trottoir. L’homme me semble très vieux. Le dos voûté, il s’appuie sur un balai qu’il tient par devers lui, se projetant ainsi vers l’avant et s’obligeant à avancer d’un pas pour ne pas tomber. Il avance par secousses en poussant les quelques détritus qui encombrent la chaussée en bordure du trottoir. Il en fait un tas qu’il ramasse avec la pelle accroché au montant d’un tombereau qui se trouve toujours à portée en raison de l’habilité et de la longue expérience de la vieille bête qui le tire. Une auto s’arrête un peu derrière, à la hauteur du Ritz. Je me tourne dans cette direction et j'entrevois, devant chez la marchande de fruits, maman et grand-maman qui reviennent de chez « matante » Olympe, la modiste, qui n'est pas vraiment ma tante mais plutôt une cousine de grand-maman.
C’est la première fois que je vois maman dans cette situation. Sans qu’elle ne me voit ni ne sache que je la vois. Et dans un autre monde que le mien. Dans une autre univers que le domestique. Qu’elle est élégante ! Quel port ! Et ce regard qui surplombe ses alentours comme un soleil vif. Qu’elle est belle avec ma grand-mère qui trottine à ses côtés. La ville semble lui appartenir. C’est une conquérante qui s’avance. Je suis conquis. Et veux moi aussi lui appartenir. Je veux qu’elle m’embrasse, me prenne dans ses bras comme elle enlace l’univers de cette rue marchande sur laquelle nous habitons. Je gonfle mes poumons de cet air soudain si bon, me projette en courant vers elle et lui tend les bras en criant « Maman ! » tant pour manifester ma joie que pour lui annoncer ma présence et aviser les rares promeneurs que cette femme qu’ils admirent est ma mère.
Elle est surprise de me voir là. Il ne m’est pas permis de me rendre seul sur le trottoir devant la maison. Je devrais être derrière, dans la cour, à jouer avec un petit camion à benne dans un « racoin » sombre et sentant l’urine sous les galeries près de la porte de service de la pharmacie. Maman est décontenancée de me voir ainsi courir vers elle. Je la sens vite se raidir sous le regard furibond de la grand-mère. Vive, elle retrouve son aplomb au moment même où je m’élance dans ses bras.
Elle m’accueille le temps de me remettre sèchement par terre. Grand-maman a son regard dur des mauvais jours. Maman replace les plis de sa robe. Regarde autour d'elle. "À la maison, tout de suite ! On ne se jette pas ainsi dans les bras de sa mère ! Tout le monde nous regarde !" me dit-elle accélérant le pas avant d'ouvrir la porte qui donne sur le sombre escalier intérieur dont les parois en petit "V" d'un brun très dense absorbent le peu de lumière qui filtre de la rue. Grand-maman passe devant. Maman me pousse entre elles deux. Nous montons. En silence. Dans la froide pénombre.
Le XIXe siècle n'en peut plus depuis longtemps. Il est dépassé. Les bonnes terres sont rares. Les jeunes rêvent -de liberté. Certains partent pour les "factories des États". D'autres pour les villes plus proches. Des villes nouvelles, filles des forêts domestiquées et des rivières harnachées. Certains quittent la terre contre leur gré, dépités de ne pouvoir vivre comme leurs pères ont vécu. D'autres, nombreux, ne disent pas quitter la terre. Ils prétendent gagner la ville. Ils partent conquérir l'industrie. Y exercer leurs talents. Y trouver gloire et fortune. À mi-chemin sur le fleuve entre Lotbinière et Deschambeault, Ovide relève sa casquette comme pour dévisager avec l'insolence de son âge l'avenir qui se morfond de l'attendre.
dimanche 29 novembre 2009
Yvonne Lord ou la bataille des Ardennes
Source: Wikipedia
Le 31 juillet 1937 le docteur André Poisson, originaire de Sainte-Eulalie, épousa à Grand-Mère Yvonne Lord, fille majeure de feu Arthur Lord et de Alice Cantin de la paroisse Saint-Paul de Grand-Mère. Gustave Poisson, avocat, fut le témoin de son frère.
Le Dr André, Joseph Arthur, était né le 23 août 1906. Son père était médecin à Sainte-Eulalie. Tous les témoins ont pu signer le registre après le baptême. Sauf son grand oncle et parrain, le révérend Arthur Lesieur, curé de Saint-Alexis-des-Monts, lequel n'ayant pu se déplacer pour la cérémonie se fit remplacer par Théophile, le frère de l'enfant.
Le 2 mars 1939, Yvonne donna naissance à un fils qu'André nomma Joseph Gustave André Michel.
Marie Alice Yvonne était né le 11 février 1906. Après le baptême, ni son père, ni ses parrain et marraine n'ont pu signer le registre.
Marguerite Bertha Julien naquit le 11 octobre 1906 à Trois-Rivières, paroisse Immaculée-Conception. Elle était la fille de Georges Julien et de Marie Louise Trépanier. Tous les témoins ont signé.
Source: registres paroissiaux du Québec (Ancestry.ca)
16 décembre 1944 (bis).
Marguerite appelle Yvonne, son amie. Madeleine, sa soeur de quelques années plus jeune, est sur le point d'accoucher. Ne pas s'inquiéter, de dire Yvonne. Que Madeleine se prépare. " Dr André passera la prendre. "
Le temps est au verglas. Dr André demande à son voisin de l'aider à poser les chaînes sur les pneus de la Ford. Madeleine met son manteau de drap trop petit, vu son état. Se coiffe gauchement d'une pointe en feutrine jaune qui a déjà connu des jours meilleurs. Et s'assoit sur la grosse valise noire qui attendait depuis quelques jours déjà. Marguerite surveille à la fenêtre l'arrivée du docteur qui demeure tout près.
Dr André arrive enfin. Il prend Madeleine, la femme de Jean, un modeste employé du moulin, et la conduit vers Ste-Thérèse, l'hôpital où elle accouchera. L'hôpital où il accouchera la soeur de l'amie d'Yvonne. Maman l'appelle "Yvonne Lord". "Yvonne" pour suggérer la familiarité, "Lord" pour rappeler, souligner, marquer sans équivoque aucune les origines modestes de désormais Yvonne Poisson, madame Docteur. La grand-mère, la tante, le père et la soeur aînée de l'enfant restent à la maison. Ils attendront le téléphone d'Yvonne à Marguerite qui ne viendra qu'au retour de Dr André quelques heures plus tard.
Après les Fêtes, Louise, la grande soeur du bébé -elle a six ans déjà- fera sa valise et deviendra pensionnaire au couvent, à moins de deux rues de là. La solution s'est imposée d'elle-même. Sinon on aurait dû déménager de ce quartier bourgeois pour retourner vivre en quartier ouvrier. Marguerite, la célibataire, est maîtresse de poste intérimaire à Grand'Mère (guerre oblige) et contribue aux frais du ménage. La grand-mère a durement élevé ses filles. Seule. Maintenant elle règne.
À Louise qui lui demande pourquoi sa maman est partie. Elle répond que c'est ce qui arrive aux enfants quand ils sont méchants. Ailleurs la bataille des Ardennes vient de commencer.
samedi 28 novembre 2009
Sais pas trop
samedi 21 novembre 2009
Sondeurs de rêves
Prospecteurs d'horizons
Explorateurs de la rime
Découvreurs de l'assonance
Pelleteux du rythme
Sourciers du respire
Charrieux de mouvance
Gosseux d'harmonies
Troubadeurs et saltimbanques
Vous qui jouez sous les chapiteaux
Vous qui quêtez dans le métro
Vous qui dites tout
Tout haut
Sans vous ne serions
Que pleutres serviles
L'autre crime
Étant que de se taire
Hier encore compagnons de mes aubes
Vous voici frères de mes crépuscules
Chantres des petits matins gris
Célébrants des grands soirs roses
Vous éclairez mes jours
Vous colorez mes nuits
Je vous entends me dire
Au clair de la lune
Dors chez la voisine
Je crois que j'y suis
Confrérie des ébahis
Bailleurs d'espoir
Pushers de vie
Ce soir encore
Vous lancez vos chansons
Comme un pavé dans la mort
Me donnez coup de coeur
Comme on donne coup de main
Merci grand-père
Salut petit-Pierre, grand-Pierre, Claude et Jean-Guy.
dimanche 23 août 2009
Pas le temps
Justification universelle dans un monde où l'on sait fractionner la nano-seconde.
mercredi 22 octobre 2008
Ataka Taboye
mardi 22 avril 2008
L'aube tarde
Avant que je ne meure
Pourquoi les soirs avant les matins
Les fleurs avant les fruits
L'aube tarde
Encore
dimanche 30 mars 2008
La mer
que la route était si belle
que la mer était si bleue
Qui me dira pourquoi
la route est si longue
et la mer est si loin
vendredi 21 mars 2008
Salut, les gars !
EN MARGE DE LA FERMETURE DE LA BELGO À SHAWINIGAN
______________________________________
Salut, les gars !
Que dire ? Sinon que cette fois c'est la fin. Partie la Belgo. Pour de vrai. Ne subsisteront bientôt que des traces. Celles des bâtiments, bien sûr, des équipements de fonte et d'acier, des huiles dont on lubrifiait les machines. Mais les traces ne sont pas une véritable présence. Ce ne sont qu'évocations d'une présence ancienne. Les traces sont des musées, ces lieux où l'homme moderne célèbre le culte des ancêtres. Le pays mauricien est couvert des empreintes de la belle en allée. Sa trace est partout sur la terre et les eaux de l'autour immédiat et de ses environs: arbres verts déchiquetés, eaux vives et limpides contenues et brouillées, ciels clairs assombris.
Et surtout des hommes séduits, puis courbés et broyés par la machine. Écrasés, lisses et minces comme une feuille papier. Aplatis. Ce sont eux la pâte dont on fait le papier. Ce sont eux l'huile avec laquelle on lubrifie les machines. Ce sont eux le fer et l'acier dont on fabrique les bêtes à manger le bois et à cracher le papier.
Le XXe siècle commençait à peine sa carrière de conquérant. Ovide n'a pas encore vingt ans. Le voici sur "la traverse" Lotbinère-Deschambault. Il entend se rendre à Sainte-Flore. Au poste Grand-Mère. Fils d'Alphée et de Joséphine qui cultivaient la vieille terre du rang St-Édouard à Sainte-Croix, il avait appris du grand-père Casimir et de l'oncle Élisée à travailler le métal dans la boutique de forge de la ferme familiale. Il était doué. Il apprenait vite, travaillait bien et "avait de l'idée".
Le XIXe siècle n'en pouvait plus depuis longtemps. Il était maintenant dépassé. Les bonnes terres étaient rares et les jeunes rêvaient de liberté. Certains partent pour les "factories des États". D'autres pour les villes plus proches. Des villes nouvelles, filles des forêts domestiquées et des rivières harnachées. Certains quittent la terre contre leur gré, dépités de ne pouvoir vivre comme leurs pères ont vécu. D'autres, nombreux, ne disent pas quitter la terre. Ils prétendent gagner la ville. Ils partent conquérir l'industrie. Y exercer leurs talents. Y trouver gloire et fortune. À mi-chemin sur le fleuve entre Lotbinière et Deschambeault, Ovide relève sa casquette comme pour dévisager avec l'insolence de son âge l'avenir qui se morfond de l'attendre.
Ils sont nombreux comme lui à affluer vers Ste-Flore, dans le secteur qui deviendra bientôt Grand-Mère, pour travailler au "moulin" de la Laurentide. Il y eut plus de 2000 nouveaux arrivants entre 1896 et 1901. La plupart viennent de ce côté-ci du fleuve. De St-Stanislas à l'Est ou de St-Barnabé à l'Ouest. Les vieilles paroisses sont prodigues de jeunes hommes vigoureux. La plupart connaissent déjà quelqu'un dans la place. Un oncle, un cousin, un frère. Dans le cas d'Ovide, venu d'aussi loin que Lotbinière, l'affaire avait été arrangée par un cousin plus âgé qui en avait vanté les mérites à son "foreman". Aussitôt arrivé à Grand-Mére, il entre donc "au Moulin" comme apprenti "millwright".
Il est vite remarqué. Son zèle et son génie compensent largement pour son tempérament frondeur. Ou plutôt c'est dans le zéle et l'invention qu'il exprime son tempérament autrement frondeur. Il progresse vite dans le métier surtout qu'il décide très tôt d'apprendre la langue des maîtres dans l'espoir évident de s'en affranchir. Il suit ainsi quelques cours d'anglais et surtout marie une belle Irlandaise venue de Québec, fille de John Patrick et de Sara Ann. Nous sommes en 1908.
Fort de sa compétence technique et de sa progression dans l'apprentissage de l'anglais, il devient vite le bras droit du "boss de la machine shop". Le département est débordé par les tâches de réparation, d'entretien et de maintenance des équipements, mais Ovide ne peut se contenter de maintenir les choses en état. Il se lasse de réparer. Il se lasse même de trouver des manières plus efficaces pour réparer et entretenir l'équipement. Il projette de nouvelles façons de produire. Il invente de nouveaux équipements comme cette "machine à confectionner les paillassons métalliques pour le pressage de la pulpe" qu'il fait breveter en 1922 (voir http://patents.ic.gc.ca/cipo/cpd/en/patent/221798/summary.html ).
Il est alors dans la force de l'âge et se donne corps et âme à ses projets, délaissant d'autant Mary-Jane et les enfants à qui il promet pour leur peine un brillant avenir. Mais la fébrilité de créer est telle qu'il ne peut voir à quel point il est absent aux siens. Il ne sait non plus ni ne pressent qu'il le sera bientôt encore plus. Avec l'aide de quelques collaborateurs il parvient à intéresser la "Canadian Vickers" à ses inventions de telle sorte qu'il peut enfin expérimenter à l'échelle industrielle sa "machine à fabriquer des filets mécaniques pour machines à pulpe" à l'usine J. Ford à Portneuf. Durant le seul été 1923, il fait trente-deux fois le voyage entre Grand-Mère et Portneuf tout en continuant à travailler au moulin de Grand-Mère. Tout baigne dans l'huile. Ovide connaîtra bientôt la gloire et la fortune. Il est venu ici pour ça. À la mi-septembre, l'expérience est concluante. Le procédé est viable. Il ne manque qu'un peu de fignolage. Mais Ovide a tout donné. Il revient d'un voyage à Portneuf atteint d'une pneumonie foudroyante qui l'emporte en quelques semaines.
C'était en novembre 1923. Son fils aîné a à peine treize ans. Jusqu'alors vif et enjoué, il devient taciturne et solitaire s'enfermant de longues heures dans sa chambre. Il ne pleure pas la mort de ce père qu'il a si peu connu. Quelques mois plus tard, en 1924, c'est dans l'indifférence qu'il apprend par La Presse que "dans quelques semaines, il sera enfin donné aux intéressés d'assister à la démonstration définitive de cette grand invention, dans les modernes usines de la Belgo Paper Company, à Shawinigan Falls. Les derniers préparatifs se font actuellement à la Canadian Vickers, à Montréal."
Entre temps, des carnassiers ont fait main basse sur les promesses de gloire et de fortune. Profitant de la faiblesse d'Ovide dans ses dernières heures, ils l'ont bercé de belles paroles parvenant ainsi à le convaincre de leur céder ses droits. Plus tard la belle Mary-Jane tente en vain quelque recours, mais elle est ruinée. On peut acheter à vil prix sa renonciation. L'avenir tantôt plein de promesses était vite devenu sombre et bouché. Jean, le fils aîné, continue un moment ses classes à l'Académie du Sacré-Coeur dans le tumulte et le bouillonnement caractéristiques des villes industrielles en plein essor. Mais il ne peut poursuivre longtemps. Comme bien d'autres, il doit "faire sa part". Bien qu'il n'est pas particulièrement costaud, il "entre au moulin", à la Laurentide, à l'époque où les plus fluets "entraient chez les frères".
Le travail est dur. Mais papa tient de son père un esprit technique inventif et une détermination silencieuse. Il s'inscrit donc à des cours par correspondance dans l'espoir de devenir dessinateur industriel et ainsi pouvoir quitter le plancher de l'usine qui ne convient pas à sa complexion délicate. Il met longtemps à atteindre son but partageant son temps entre l'usine et le bureau de dessinateur qu'il a aménagé dans un recoin discret de la maison pour pouvoir étudier et pratiquer à son aise les exercices imposés qui lui parviennent régulièrement par la poste. C'est d'ailleurs au bureau de poste, où il va chercher son courrier, qu'il rencontre maman, Madeleine. Mais c'est une autre histoire.
Ici nous sommes en 2008. Le XXIe siècle veut vivre. Et c'est maintenant d'une autre belle qu'il s'agit. D'une belle en allée dont il ne restera bientôt que des souvenirs dans la tête des hommes, bouffée qu'elle est par ce nouveau siècle qui se languit de prendre toute la place. « La page est maintenant tournée à l'usine Belgo » titrait hier Le Nouvelliste. Ce livre dont on tourne les dernières pages, c'est bien sûr celui de la Belgo du Belge Biermans, mais c'est un peu aussi celui de la Laurentide du Montréalais Forman. C'est surtout le livre de nos frères, de nos pères et de nos grands-pères qui ont été l'âme de ces usines dont les machines à papier étaient le coeur.
Depuis l'annonce de la fermeture de la Belgo, les gros canons tonnent, tempêtent et tonitruent qu'il faut "se serrer les coudes et mettre l'épaule à la roue". Certes il y a un temps pour se retrousser les manches, mais il y en a un aussi pour pleurer. Et il faut le prendre ce temps de pleurer nos morts.
Toi mon cousin retraité de la Laurentide, as-tu encore le "punch de millwright" d'Ovide que je t'ai laissé il y a quelques années ? Toi le fils au Joachim, le brochet "narfé" qui refusa de "rentrer" après la grève de 1955, que te reste-t-il de cet homme droit qui fut l'ami de papa ? Et moi, que j'aimerais donc pouvoir ouvrir les tiroirs de ce vieux coffre vide d'outils qui avait appartenu à Ovide et qui déjà quand j'étais enfant semblait être une relique d'une autre époque dans le fond de la "dépense" où on l'avait oublié. Et vous autres, les gars de la Belgo, dans votre grand ménage avant fermeture, avez-vous rencontré des traces d'Ovide? Une plaque sur une vieille machine avec un nom et numéro de "patente" ? Une vieille casquette en lambeaux, oubliée, perdue depuis si longtemps...
Tout ça pour vous dire que même si je ne suis pas un fils de la Belgo, même si je n'ai jamais travaillé à "la Consol", même si des pans de cette histoire sont pure invention, voir fermer la Belgo c'est un peu voir mourir grand-papa, et papa, et les oncles, et leurs frères, et leurs fils. Salut les gars !
L'auteur
fils et petit-fils de travailleurs du papier
mardi 5 février 2008
Je marche droit
On me l'a appris.
Je suis allé chez les uns et les autres.
C'était bien ainsi.
Encore aujourd'hui je marche droit.
Destination nulle part.
Lentement, sûrement.
Sans hâte, avec frénésie.
Je marche droit.
Et pourtant j'ignore encore votre nom
Et celui de l'aube et du couchant.
Inéluctable avancée diffuse
Vers l'aurore sombre
Des glaciers éteints.
dimanche 6 janvier 2008
Comment
que nous sommes morts
avons été
fumes
Comment
dites-moi comment savons-nous
que nous vivons
mercredi 11 octobre 2006
dimanche 20 août 2006
À vide
Le coeur à vif
Le corps à vide
L'âme grise
L'arme à gauche
Fleur fanée
Soupirs railleurs
Souper ailleurs
Sous la rosée
mardi 30 mai 2006
L'arbre rose
si fin si frêle
Il y a tant d'arbres verts
si gros si forts
samedi 22 avril 2006
Bientôt...
Il n'y aura plus de bourgeons
Que des fleurs
Et des feuilles
Et des fruits
Et mon coeur...
Ce sera demain
Et nous serons le jour d'après
vendredi 17 mars 2006
Dernier hiver
triste
Coule tout doux
Un vent
frais froid
Brûle mes joues
C'est presque fin d'hiver blanc
D'un pas lourd lent
je marche
Pour la dernière fois
Tu as grise mine
ma ville
Couverte d'abrasifs
Lavis d'hiver
en allant
La vie, la vie en allée
Rares neiges
sèches sales
Sans âmes
Marie-Anne
La belle, ma belle
pleure, pleure
Coin Garnier
Et je m'en vais
me dire, me dire
Que je m'en vais
C'est la dernière fois
que je marche
Pour la première fois
Rituel d'écriture
Marcher à fendre l'âme
Laisser les mots
Couler par la brèche
Recueillir la sève
Faire le feu
Laisser réduire
Jusqu'à consistance désirée
lundi 13 février 2006
Je ne suis pas libre d'écrire : vous me lisez
Un arbre
Très vieux
Très gros
Tordu
Vrillé
Monte péniblement vers le ciel
Avant de mourir
Des patineurs
Très beaux
Très jeunes
Glissent
Tournent
Vont et viennent en boucle
Sur l'étang
Gelé
Un lecteur
Ni vieux ni jeune
Ni beau ni laid
Une femme sûrement
Rent a car in Lebanon
Gebal-Byblos
Terminus
Tout le monde descend
Pour un café
Infâme
Au Dunkin Donuts
Café des Infidèles
Jbeil
Je ne suis pas libre de vous écrire : vous me lisez
dimanche 5 février 2006
Une note bleue
Je t'explore
Et je plore
Au vent mauvais
Je m'exporte
Tu m'importes
Je te porte
Et m'emporte
Je te prie
Je te plie
Je te prends
Deça delà
Pareil à la feuille morte
Tout doucement sans faire de nuit
Je suis venu te dire
Les jours anciens
Et je pleure
Te dire
Et je pars
Sur le thème du "trombone fatigué"
proposé par Coïtus Impromptus V2, février 2006
jeudi 2 février 2006
Souvenirs de Volovostock II
mercredi 1 février 2006
Souvenirs de Volovostock I
Vous, vous n'aviez pas encore vos lunettes noires. Celles sous lesquelles vous disparaissez sans que rien n'y paraisse. Vous étiez donc là. Alors que maintenant...
En ce temps le temps s'écoulait en spirale tandis que le grand Réal agglutiné autour d'un bol gluant de café sirupeux ruminait des orages à venir. Ce n'était donc pas un acouphène ce grondement lointain. Mais peut-être n'avez-vous rien entendu à cause du bruit assourdissant d'une nébuleuse de mouches à miel en errance.
Le chèvre chaud puait. Un mauvais chèvre. Et pourtant il n'est rien arrivé. C'est précisément pour cette raison que je m'en souviens. Autrement j'aurais tout oublié. Comme ce matin de juin. L'année importe peu.
À cette époque de grande déconfiture des hordes de crapauds guerriers parcouraient les vallées à la recherche des derniers claustrés, rares survivants du gel vert qui s'était répandu sur les contrées boréales à la faveur d'une élection fumeuse qui, c'est ce qu'on prétend, fut la dernière. Depuis, il n'est plus rien arrivé. Sinon j'aurais oublié. Comme ce matin, au déjeuner, alors que j'étais seul avec Eugène Proteau. Vous portiez vos lunettes noires.
Je suis Alexandre Samuelson, le dernier des facteurs d'orgue à tétons du Volodistan à pratiquer son art à Volovostock aux marches de la Barbarie Mineure. Vous êtes, Alexandra MacDonald, ombre d'un souvenir éteint, jardin de fleurs séchées sur les rives du Grand Lac Ensablé.
mercredi 25 janvier 2006
À la brunante
Les fleurs se taisent
L'orage ne gronde plus
Un goût d'amandes
Flotte
Dans l'air
Ciel onctueux persillé de blanc
Sur fond bleu
Et si nous marchions
Encore un peu
M'écouteriez-vous
Et si je vous disais
Il fait ciel d'aurore
Et c'est pourtant brunante
M'entendriez-vous
mercredi 18 janvier 2006
Virgule
Des songes d'étés
En allés
Le coma
Nuit éternelle
Virgule flottante
Point final
Sans décimer ni décimale
Nombre entier
Irrationnel
Suspens
mardi 17 janvier 2006
Loin comme Hochelaga
Elle était la fille d’un notable de souche
Prospère notaire d’Hochelaga
Marie-Louise était destinée à un riche marchand des villes
C’était à la fin de l’âge du cheval
Des Chinetoques de misère ont construit une voie ferrée
Au bout de la rue
Marie-Louise aimait marcher de l'autre côté
Là où le monde est différent
C'est là qu'elle a rencontré Georges
Ils ont pris le train pour s'établir plus loin
Beaucoup plus loin
De l'autre côté de Glenada où s'arrête le train
Plus loin que Glenada
Pour alimenter les commerces des nouvelles villes
Industrieuses
Sur les bords de la Rivière-aux-tumultes
Fils d’une lignée de marchands grossistes
Georges était plusieurs
Ils eurent six enfants quatre filles
Un jour le marchand s'enferma dans une chambre
De sa maison bourgeoise
Ne marchanda plus rien
Refusa de sortir
Des hommes en blanc vinrent le chercher
On l'enferma à Saint-Michel
À l’asile
Le temps passa
Il prenait du mieux disait-on
Elle refusa son retour
Tous s’entendaient
Curés notaires et autres marguilliers
La neurasthénie quand elle frappe l’homme
Est une condition
D’exclusion
À perpète
Marie-Louise se tint droite
Emménagea dans une maison ouvrière
Sur la rue Bordeleau
Derrière il y avait un poulailler
La voisine ne connaissait ni les bananes
Ni le lin des nappes
Marie-Louise se fit couturière
Sa mère d’Hochelaga lui fit envoyer un piano
Pour l’éducation des demoiselles
Tout était pour le mieux
Une nouvelle ère/aire s’ouvrait à eux
jeudi 12 janvier 2006
Love Fitness
T0
J'ai trouvé! J'ai eu une illumination en marchant ce matin. C'est pourquoi j'aime marcher. J'ai trouvé! Je change de nom. À compter d'aujourd'hui je ne m'appelle plus Rémi Michaud. Dorénavant, je serai Abdul Parish.
T1
Je m'appelle Abdul Parish. Mon nom
T2
Ce matin en marchant j'ai décidé de faire fortune. Je décide souvent de faire fortune en marchant. C'est pourquoi j'aime marcher. La fortune sourit à ceux qui marchent tôt disait l'oncle Abdullah qui fut un temps entraîneur de l'équipe olympique féminine de football de plage de Badgag. Coïncidence, mon père fut aussi un temps entraîneur à Badgag. Il avait charge d'âmes disait-il en réponse aux cris de Maure de ma mère quand il revenait épuisé de son programme d'entraînement avec les meneuses de claque du club de ringuette de al-Jadida. J'ai décidé de faire fortune en mettant à profit ce double bagage culturo-sportif qui est mon héritage le plus précieux. À compter de ce matin, je me mets à l'écriture d'un livre pratique sur l'entraînement à la baise sportive à être publié aux "Éditions Fitness".
T3
4e DE COUVERTURE
Que vous soyez un baiseur chevronné ou que vous vous livriez à la baise simplement pour le plaisir et pour être en forme, vous apprécierez les conseils d'Abdull Publish, le large éventail d'exercices et les programmes d'entraînement que cet ouvrage vous donne:
- des conseils pour commencer un programme d'entraînement en baise sportive, du choix du ou de la partenaire à l'évaluation de votre niveau de forme actuel;
- six zones d'entraînement contenant 56 exercices (45 d'intérieur et 11 d'extérieur) qui vous permettent de vous entraîner à votre rythme;
- six programmes-échantillons qui vous indiquent comment organiser vos exercices en toute sécurité et avec efficacité selon un plan qui satisfasse vos besoins.
Écrit par un expert "La Baise Sportive" fait partie d'une nouvelle série qui permet à ceux qui veulent être en forme et à tous les baiseurs, quel que soit leur niveau, une approche adaptée et pratique afin de leur permettre d'établir un programme d'entraînement efficace.
Dans la même collection:
Histoire raisonnée de l'amour analogique.
Prolégomène à l'amour digital.
samedi 31 décembre 2005
Silences, blogues et turlupettes
pour ne pas être entendu
Je tressaille
d'allégresse
Et Joyeux Noël vieux frères
Je trépigne
d'impatience
Et Bonne Année grands-mères
Je blogue
à tout vent
La grande roussse
même s'est tue
Seule badine
Nadine du non-lieu
Dits, édits et diktats
Je piaille
Le coeur sur la paille
Le silence m'effraie
Je vous parle
parle et vous parle
Seul me vient l'écho
Morose
De mes silences
Tus
On tourne
Terre ronde
On tourne en silence
Et je crie pour ne pas être entendu
Parmi les silences lus
mardi 27 décembre 2005
Le dernier solstice
Ne dites pas ma belle
Que le soleil s'est arrêté
Un soir de décembre
La neige était belle
Noire
Ne dites surtout pas ma belle
Que nos jours sont comptés
Qu'il n'y a qu'un hiver
Le dernier
La dernière étreinte
Le dernier solstice
Ne dites rien ma belle
Surtout pas
Que nos jours sont comptés
Que la dernière nuit
C'était la nuit dernière
Neige noire
lundi 19 décembre 2005
Les orignaux du soir
Quelle brûlure
On sonne à la porte
Les outardes passent droit
Ne font plus halte
À Saint-Barthélemy
Foncent sur Kuujjuaq
En lieu j'entends la plainte lascive
Des femmes de slush
Rires éteints
Redoux des lendemains de bordée
Ni chaud ni froid
Méchante belle tempête
Des cristaux
De feu
Pincent
Tout doux
Vous avez bonne mine
Ce matin ma vieille
L'oeil espiègle
On sonne à la porte
Où sont les orignaux du parc Lafontaine
Où sont les mousses les lichens
Des chenilles déneigent la glace de l'étang
Des patineurs derrière
La sonnerie de la porte
S'est tue
S'est tue
À la nue
Accablante
dimanche 11 décembre 2005
Dimanche
voilé
À demi
La neige
bleue
Dans les champs
C'est dimanche
Décembre en gris
Fadeurs d'hiver
vendredi 2 décembre 2005
Nuit d'hiver
J'entends un éclat blanc
Sec
Des grincements
Assourdis
La neige sèche dans les champs
Se déchire
Tonne
La chair des bouleaux
Là-bas derrière la maison
Se tord comme une souffrance
Il n'y a bête qui vive
À cette heure encore
Et pourtant c'est le matin
Des fumées montent dans le ciel
Des prières pour qu'enfin vienne l'aurore
D'une gaze rose
Panser la morne nuit d'éternel hiver
lundi 28 novembre 2005
Où sont...
Où sont les poètes et les joueurs de luth
Il pleut froid sur Montréal
Le verglas couvre tout
Brillance fugace
Éphémère linceul
Tout s'arrête un seul jour
Ploient les branches
Sans fruits, fleurs ni feuilles
Meurent les poètes
Sans un cri, ni pleurs
Personne pour célébrer le deuil
Le deuil
Des vieillards encore jeunes
L'âme déjà pétrifiée
Pissent sur les incandescentes
Naissances
Plus rien ne vaut
Ils pleurent de n'avoir que des souvenirs
Froids
Bandes de vieux crisses de chiâleux
Vieilles slush sans corps et sans coeurs
Des lendemains de verglas
Regardez comme la neige est belle qui vient
Qui vient
dimanche 20 novembre 2005
Conjugaisons
Que je suis
Je crois tu crois nous croyons
Pour être
C'est au dubitatif de tous les temps
Que je vis
Je chante je ris je pleure je crie
Pour vivre
C'est à l'imparfait du disjonctif
Que j'aime
Pour ne pas mourir
Tout à fait
Votre cul tel un iris d'eau
Se balance au dessus du temps
Et mourir se conjugue
Souverain
Au présent du poétif
Le dernier métro
Je n'ai pas de correspondance
J'ai oublié
Ni mes lettres de créances
D'où je viens il n'y a pas de gens heureux
J'ai oublié
Où je vais je ne sais la couleur des feux
Ou est-ce le ciel qui se mire dans mes yeux
Rouge
Est-ce que jeudi matin te convient, vieux frère?
Si tu savais tout ce qu'il nous reste à faire
Depuis hier
Jusqu'à demain
Surtout ne rien dire
Ne pas croire pour ne pas pleurer
Rire
Le métro partira sans moi
Je marcherai droit
Jusque là
Si je frisonne
C'est qu'il y fait froid
Surtout ne croire personne
Ni dieu ni Diable
Bien au delà
Charivari et grand aria
Nous partirons ensemble pour Ouarzazata
Vous avez marché jusqu'ici! me direz-vous
Avez-vous vos lettres de créances? me demanderez vous
samedi 19 novembre 2005
Si nous n'étions que...
bleues
Des salades
vertes
Des macaques
casaques
À la dérive
au large de Causapscal
Codicilles
au désordre du monde
Souvenirs
anachroniques du futur antérieur
Vire-capots
de la survenance
Banc de krill
à l'ouest de l'Antarctique
Festin de la grande baleine
L'église Saint-Stanislas
Il sortait du grand bazar
Maladroit
N'apportez pas vos chaises en paradis
Lui avait dit la vieille femme
Les places sont réservées
Chacun son bac vert
Avait répondu l'autre
L'homme aux cheveux bleus
Qu'ils reposent en paix
Avait marmonné le curé
Désoeuvré
La table aussi
Était bancale
L'odeur des mots
de l'imaginaire
Un itinérant
de la lettre morte
Je me recueille
dans les livres d'images
Je me cueille
comme feuille morte
Je marche
sur le flanc d'un volcan
Je ne veux pas naître
Je randonne
Je m'abandonne
Je déraisonne
Je me cramponne
Aux glaces noires du silence
Je me tais
Et vous dit la grâce
de l'espace blanc
Du blanc béat
B-A ba
Thuriféraire de l'abécédaire
Je suis un recycleur
Un farfouilleur
Les mots sont des bacs verts
Pêle-mêle de pense-bêtes
Je suis un bricoleur
un recycleur
Un mot ou l'autre
De temps à autre
S'enflamme
et se consume
Brûle le sens
Comme brûle l'encens
Autour des catafalques
Où reposent les proses frigides
vendredi 18 novembre 2005
Vous êtes en retard
Couleur somptueuse de la beauté
Je ne vous attendais plus
Êtes-vous seule
Et vos soeurs qui vous accompagnaient
Ont-elles péri dans les affres noires
Restez je vous en prie
Ne partez pas si tôt
L'hiver est si près
Et vous effluves somptuaires de l'ambre gris
Que ne ravivez l'extase et l'enchantement
Je souffre depuis hier ou ne sais quand
Tant le temps est sombre et lent
Lumière blanche
Il y eut un automne
Ce matin
L'hiver
D'un coup sec
Froid qui me pince l'âme
Je marche doute au corps
Il n'y a pas de neige
Pas encore
Mais la lumière
La lumière
Toute blanche
jeudi 17 novembre 2005
mercredi 16 novembre 2005
L'inspiration vient en marchant
Tu me phagocytes les astrocytes
Puis ça fait tilt
Pas de partie gratuite
Le vent se lève
Fort
La pluie tombe
Dru
Je me réfugie
Chez Papi
Repas légers
Un expresso bien tassé
On s'est trompé
On va changer d'côté
C'est pas pour aujourd'hui
mardi 15 novembre 2005
Vos gueules, les mères de notaires
Les bonnes mères
Les mères parfaites
Les mères de notaires
Laissez-moi vivre
Laissez-moi dire
Faites-moi rire
Vous m'avez dit qui j'étais
Vous m'avez appris mon rang et mon sang
Je suis qui vous avez dit
Ma mère
Vous leur avez dit le bien et le mal
Inculqué des vérités bien faites
Ils pensent droit, ils pensent court
Mes petits qui n'en sont plus
Vous nommez leurs émois
Leurs joies leurs peines et leurs colères
Vous inventez leur âme
À vos petits si petits
Vous êtes nos mères
Responsables et mesurées
Parfaites
Nous sommes vos enfants
Fugueurs aux fougues fugaces
Gentils
Obéissants
Vos gueules, les mères
Fausses domestiques
Qui domestiquez l'enfant fauve
Au nom du père
Et du père
Lui au moins on peut le tuer
C'est répertorié
Pas vous les parfaites
Les imperfectibles
Les pas tuables
Je vous veux irresponsables
Houleuses
Et turbulentes
Berçantes tolérantes
Berceuses heureuses
Je vous rêve sans mission
Ne sachant pas qui je suis
Ne me disant pas ce que je pense
N'inventant pas mon âme
Cessez d'être mères
Laissez-nous la vie
Puisque vous la donnez
Je vous aime irréfléchies et maladroites
Et vos petits malappris mal dégrossis
Bien malgré vous ma mère
Je suis parvenu à ne pas être notaire
Quoique votre fils ma soeur soit administrateur
J'espère pour lui qu'il sache lire encore
Et vous ma fille je rêve pour votre fils
Des troubles de l'âme qui le feront naître
Jamais je ne pisserai sur vos tombes
Mères parfaites
Puisque vous êtes immortelles
vendredi 4 novembre 2005
Les derniers humains
J'erre espace blanc je te cherche
J'ai longtemps fréquenté le Porté disparu
Pour les yeux d'Hélène
Le soleil du matin
Toutes lumières irradiantes
Portes closes
Paupières fermées
J'erre espace blanc je te cherche
Entre le Café Byblos et les Derniers humains
Ici Emela la patronne la mère
Règne
Lumière crue vive froide
Mère de toutes les certitudes
Là le jugement dernier n'aura pas lieu
Le patron patibulaire prononce un non-dieu
Feu catatonique
Restes humains non-identifiés
Les mustangs ne courrent plus
Sur l'écran du Château
La marquise précise
Dieu est pardon
Célébration à 10 heures
J'erre espace blanc je te cherche
Il y a si peu de la coupe aux lèvres
Entre le Café Byblos et les Derniers humains
lundi 31 octobre 2005
Je suis un peuple métèque
Un peuple métèque
Je suis de braises et de cendres
De glace et de lacs
Frette et blanc
Noir et grand
Mornes éclats de nos aïeux
Débats sans foi ni dieux
Nous sommes des chasseurs sédentaires
Des agriculteurs nomades
Des guerriers sans peurs
Pacifistes sans réserves
Je suis de Poitiers en Poitou
Toujours m'a raconté ma mère
Je suis de Normandie
Dit mon père en écho
Tous les deux sont morts à Belfast
Affamés, trucidés, suicidés
Tous les deux venaient de Londres
Avaient fait fortune à Édimbourg
Ils étaient commerçants et mendiants
J'étais orphelin de rang
Qui donc récoltait le maïs
Naviguait dans l'écorce?
Qui donc a couru les bois,
Négocié la fourrure?
Cultivé la terre,
Imaginé les villes?
Et coupé le bois, et vendu le bois?
Et construit les bateaux
Et vendu les bateaux?
Et fait la guerre
Et parcouru les mers?
Quelconques conquérants conquis
Dont l'ailleurs est ici
Les hivernants sont repartis
De corps ou d'esprit
Les autres habitent toujours ici
De coeur et d'esprit
Bandes d'habitants
Conquérants conquis et cocus font bon ménage
Dans ce pays qui n'existe pas
Ce pays sans patrie
Ce pays castré
Par ses mères patries
Cessez vos rêves insensés
Vous serez pendus au Pied-du-Courant
Irresponsables ingouvernables
Établis le long des voies d'eau
Habitants des villes, habitants des champs
Creuseurs de "ch'nails" et de canaux
Poseurs de tails* et de rails
Jarrets noirs et autres colons,
Des rongeux de balustre en colère,
Des Bloques, des Chintock et des Pollock
Pas encore de Kmers ni de Viets
Des suceux de nanane
Mais pas encore de mangeux de pain naan
La Barbade est loin sur les pintes de mélasse
La Grenade n'est surtout pas un fruit
Et pas encore une île
Les Syriens sont des juifs qui fréquentent la messe
Et communient sous les espèces
Sam et ses Steinberg ne sont pas un groupe rock
Et je ne rêve pas encore de tartinade Mouhara chez Adonis
Une patate sauce au Ritz,
Chez Cassar, le père, me comble d'aise
Existe-t-il ce vaillant Morini
Du régiment de Carignan?
Jean-Talon avant d'être marché
Fut-il vraiment intendant?
On dit que Deschamps était un humoriste
Et que Michel Mpambara fait salle comble
À Chicoutimi
Je roule à vélo sur le Lakeshore
Avec Abramson le bourru et Notkin l'obséquieux
Neale la rigolote et Deslauriers le polyglotte
Un peloton du dimanche sans histoire.
Vous dites, mon cher Venster?
La planète est une peau de chagrin
Ratatinée, de boue séchée,
L'or noir fume et m'enfume
L'ours polaire se noie sous les tropiques
Le fleuve est un chenal à creuser
Les journaux sont des galettes à la menace
Quand les hommes vivront d'amour
Quand les hommes vivront d'amour
C'est plein de misères plein de misère
Nous ne sommes pas morts mon frère
Nous ne sommes pas forts mon frère
Romain, cyrillique et grec, les alphabets,
Ni romain, ni cyrillique, ni grec l'alphabet
On écrit de droite à gauche
De bas en haut et inversement
Vous êtes de l'Inde ou du Pakistan
De l'Argentine ou du Salvador
Philippin! vous m'en direz tant
Les prix sont bons chez Sakaris
On se bouscule à l'Olivier
Pour la viande Halal de Monsieur Rekik
Célestine servira ce soir son poulet créole
Je suis un peuple métèque
Rien qu'un peuple d'habitants
Nous sommes vivants mon frère
Et il nous plaît de vivre ensemble
À la métèque à la Manic
Tamdidelam, tamdidelou
Tamdidelam, didelou
La coque rouillée du Majestic
Fend l'eau du chenal
Le fleuve est à refaire
Je suis un peuple d'habitants
Sans droit de cité
Je suis un peuple de métèques
Sans feu ni lieu
Une terre à inventer
Une terre à partager
D'ousse que ch'ue
D'ousse que t'é
Ousse qu'on é
Tamdidelam, tamdidelou
Tamdidelam, didelou
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* tails : dormants de chemin de fer
dimanche 30 octobre 2005
Déjà l'hiver
Mais dites-moi au moins qu'il ne neige pas à Lisbonne
Je n'irai pas à Carcassonne, avec vous,
Ni ne verrai Agrigente, dame,
Tant l'éclat de vos yeux
A d'ores la couleur douce du repos
Cessez de vous tourmenter
Ni de pleurer, ma belle
Dormez, dormez, belle Corrine
L'hiver est si vite arrivé
Puisque déjà fleurit le dernier printemps
lundi 17 octobre 2005
1965
Et c'est un monde à mourir de rire, un opéra sur un air de twist où le barbier de Séville, un nommé Garofi, devient cycliste funambule et lave les dents de l'hippopotame avec une brosse à plancher.
Le bal des voleurs de réverbères et des allumeurs de banques... Et le charmeur de serpents qui meurt dans son char, une grappe de chats à la main... C'est la vraie foire aux encres.
C'est fatal.
Plus haut que la cime des feux
Croissent les arbres morts
Coulent les eaux stagnantes !
Créons la nouvelle oasis
Élevons cette autre Manic
Forgée dans la courbe lumineuse.
dimanche 2 octobre 2005
Dimanche d'automne
Le soleil paresse bas dans le ciel
Un velours à ne pas se presser
Les chalands sourient
Ont tout leur temps
Madame l'Archevêque aussi
Le boulanger n'a déjà plus de pain
Il n'est pas deux heures
C'est dimanche
Tout s'étiole
Deo gratias
mardi 27 septembre 2005
Légumes mélangés et autres florilèges
La vie est un remake des chants du mal d'Aurore
Soleil frais d'automne botulique
lundi 26 septembre 2005
Café Byblos
Que n’ai-je compris plus tôt
Les mots sont des cristaux
Les livres des glaciers
Les biblios des biblios
Madame Pouf règne sur le Café Byblos
Faire fondre la neige des mots
La glace des dicos
Découvrir le feu, le fou,
Le cri furieux du fou du feu
Votre tentative de connexion a échoué
À l’ombre des clichés
La cathédrale des mots
Expressions, associations,
Assonances, assommances
Affichage Insertion Format Outils Fenêtre
Aide disponible sous F1
Sous le soleil des faux
À l’ombre des mots
Il n’y a plus de Kilimandjaro
Le Manitoba ne répond plus
Le Mont-Gomery accouche d’une souris
Ne pas oublier de sauvegarder
Sauvegarder sans partage
Contrairement aux Tibias de la vallée de la Logan
Je n’ai jamais cru que les oiseaux avaient un sixième sens
Madame Pouf un cabinet d'essences
Au commencement était le verbe
Il y eut un soir, il y eut un matin
Et vint le correcteur grammatical
Quand le pwet poétise
Je me rêvais forêt
J'étais un chêne
J'avais seize ans
Je te voyais lac
Tu en avais quinze
Et des yeux, des yeux à fendre l'âme
À l'ombre des grands saules
Les eaux vives étaient frayères
À travers les champs comme un ruisseau
Le ciel comme le temps coulait doucement
C'était au temps des commencements
Avant le grand feu
Avant le grand dérangement
Avant d'avoir tant de fois vingt ans
Forêts rasées
Lacs envasés
Ruisseaux asséchés
Frayères gelées
Pénélope n'attend personne
Ulysse ne va nulle part
On ne monte plus aux chantiers
Et pourtant c'est un bien bel été
Que cet été, que cet été
J'entends la cigale chanter
Et dans vos yeux, vos yeux ma belle
Sous la patine du temps
L'éclat de vos quinze ans