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dimanche 28 février 2010

Et vous...

N'aspirez-vous pas, vous aussi, au bonheur des pierres ?

samedi 27 février 2010

Une ville triste

J'ai arpenté ce matin, comme je le fais souvent, histoire de garder la forme, la rue principale de Grand-Mère qui fut le théâtre de toutes mes premières ou presque. J'en ai quelques fois occupé la scène. Le plus souvent je fus spectateur. Il m'est aussi arrivé de vivre dans les coulisses.

Malgré la neige abondante des derniers jours, les trottoirs sont bien dégagés. Le temps est doux. Au début je marche d'un pas vif, face au nordais, évitant les flaques d'eau que la fonte rapide des bancs de neige multiplie aux intersections. Je marche tête haute.

Sentant une lourdeur m'envahir j'ai ralenti le pas à la hauteur de l'église devant laquelle j'ai grandi. Ma respiration aussi se fit plus lente. Un peu plus loin, à la hauteur du "Bravo Pizzeria", une vieille dame dans un manteau trop grand pour elle et trop chaud pour le temps s'était arrêtée presque sous l'enseigne lumineuse éteinte à cette heure malgré la grisaille du jour. Elle portait aussi un bonnet de laine d'un vert encore foncé quoique délavé dont la couleur défraîchie rejoignait presque celle du manteau long qu'on pouvait soupçonner d'avoir déjà été marine. Le lacet trop long d'un de ces bottillons, comme ceux que portent les marcheurs, était détaché et pendait tortillé sur le sol. La vieille appuyée sur sa canne fixait l'enseigne tout en haut comme pour déchiffrer un sens caché derrière "steak et fruits de mer" écrit en lettre de feu. Elle ne broncha pas quand je passai près d'elle.

À quelques pas de là les anciennes vitrines de ce qui fut "chez Lampron", tabagie, plomberie, librairie et salle de quilles tout à la fois, sont maintenant habillées de stores verticaux donnant ainsi un peu d'intimité au "Café de l'amitié". Sur les vitres, sont collées des affichettes indiquant qu'on peut trouver ici de l'aide psychologique. Rendu face au rocher en forme de grand-mère qui donna son nom à la ville à la fin du XIXe siècle, je rebroussai chemin. Malgré le vent de dos, mon pas n'avait cesse de ralentir, mes épaules de se vouter, ma tête de se faire plus lourde.

Cette ville est triste de se mourir. Et je lui ressemble. Elle n'a plus d'âme depuis longtemps. C'est de cela qu'elle se meurt. Je ne devrais pas marcher seul sur la rue principale. La prochaine fois, je marcherai avec un copain et nous parlerons technologie et rénovation domiciliaire. Il fera peut-être plus froid. Il fera peut-être soleil. Nous parlerons d'autres choses avant de nous arrêter à "La place du Café". Il y aura là le patron du café qui pitonne son ordi en attendant que le travail reprenne au printemps à son atelier de fabrication de quais de bois, la patronne qui nous accueillera de son habituel "salut les gars", le retraité de la Consol qui sirotera son capuccino sucré, un vieux tireur de joint venu prendre deux toasts et un café avant d'aller donner la dernière couche, une dame presque aveugle qui en sortant s'arrêtera longtemps devant les pâtisseries pour s'imprégner de leur image toujours plus floues avant qu'elles ne disparaissent pour de bon.

vendredi 26 février 2010

Citation 1

"L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est."
Albert Camus, L'homme révolté

mercredi 24 février 2010

L'archiprêtre, le clerc et les lais

Ce texte a d'abord été écrit pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait :

  • de reprendre l'incipit du dernier roman de Christian Oster "Chaque matin, vers dix heures, je me levais..." pour commencer votre texte.
  • d'y glisser également son titre "dans la cathédrale".
On peut lire les résultats de cet exercice sur http://www.impromptuslitteraires.fr



L'archiprêtre, le clerc et les lais.


Chaque matin, vers dix heures, je me levais pour accueillir le grand insipide, "Bonjour monsieur le directeur", qui venait par lui-même évaluer la performance d'une équipe de cancrelats dont la tâche consistait à recevoir les appels de niquedouilles appâtés par une pub télé vantant les mérites d'une racine merdique aux propriétés d'autant plus désirables qu'elles demeuraient mystérieuses. On exigeait d'eux qu'ils ferrent le nigaud à trente à l'heure: conclure la vente, noter le numéro de carte de crédit, l'adresse de livraison et flagorner le lièvre. Trente à l'heure c'était le plancher.


La salle tout en long comportait deux rangées de minuscules bureaux à cloisons. On asseyait le cancrelat sur une stalle devant un écran plat et un clavier aux touches élimées. On l'attifait d'un casque d'écoute de mauvaise qualité et vogue la galère de la petite flibuste. À les voir ainsi sur deux rangs ânonnant de conserve, on aurait cru le choeur d'une abbaye. Ils n'étaient ni moines, ni même moinillons, mais convers. Ils étaient lais, j'étais clerc. Et le directeur chaque matin, vers dix heures, faisait son entrée dans le petit temple de l'arnaque comme l'archiprêtre dans la cathédrale.


Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Mais à cette époque je ne soufflais la bougie qu'à l'aube. J'étais équipé pour veiller tard si bien que ce matin là je n'arrivai au bureau qu'après la rafle au cours de laquelle on coffra trente sans-papiers. Le grand insipide depuis son auto qu'il avait garé sur le trottoir en face de sa cathédrale avait déjà passé commande de trente lais auprès de l'agence et recruté un nouveau clerc. Je n'avais pas la vocation et le jour avançait. Ce matin-là je n'allai pas chez les putes.

mardi 23 février 2010

Créatures et créateurs

Je n'ai jamais compris ces hommes qui d'un coup de langue vous caractérisent. Point à la ligne. Je ne les ai jamais compris, dans ce sens où je n'ai jamais vraiment saisi comment ils parviennent à rendre leurs descriptions plus vraies que la réalité qu'ils décrivent. Le plus souvent ils m'ont fait chier. Quelques fois mais en secret, loin dans ma Ford intérieure, j'ai admiré leur habileté à esquisser d'un trait votre personnalité. Ou ce qui à leurs yeux en tient lieu. Leur force créatrice me fait chier de dépit. D'envie. En quelques mots ils font de vous un personnage autour duquel se bâtit un récit de par la seule force d'évocation concentrée dans l'éjaculat précoce de leur pensée réductrice. Mais quelle efficacité !

Les événements aussi ils les maîtrisent avec la même adresse. Et vlan! Vous voilà propulsé dans la réalité. Vous perdez tout caractère fictionnel de par la vérité de toutes pièces inventée de vos propos et surtout de vos actes dont le sens est donné comme une révélation. La Révélation. À les écouter vous devenez une religion dont vous êtes le prêtre et le fidèle tout à la fois. Ils en sont les dieux.

Ils vous apprennent enfin qui vous êtes, avez été, serez. Deo Gratias. Tandis qu'ils vous inventent et font de vous des témoins de votre propre existence vous comprenez que le doute ne peut exister dans cette poix noire, épaisse. Anathema sit celui qui n'embrasse pas la nouvelle religion dont vous êtes le héros.

Ne pourraient-ils pas se contenter d'inventer des histoires que je me plairais à écouter ou à lire.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Je dispose de 1200 caractères. Le reste, c'est de la frime.