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vendredi 30 avril 2010

Fenêtre d'hôpital

De la fenêtre du 5e de ce petit hôpital construit sur une butte rocheuse, je vois au bout de la rue, droit devant, des rames enlacées à flanc de colline et qui forment un voile fin sous lequel on devine que s'abritent de fragiles pousses sorties de leur torpeur par le soleil d'avril. Des bourgeons s'accrochent à ce tissu aérien et le renflement des plus tardifs clôt le ciel de bouquets de bruine qui vont du rose pâle au rouge sombre tandis que l'éclosion des plus hâtifs produit d'admirables lavis sur lesquels les verts les plus doux se côtoient. Quelques taches vives tranchent sur la finesse de ces primeurs exquises et annoncent la forêt pour l'heure discrète. Ce sont des épinettes et des thuyas.

jeudi 29 avril 2010

D'encre et de couleurs

J'écris au stylo-plume pour la douceur de la course de l'outil, le chuintement de la pointe sur la feuille, la fine coulée de l'encre luisante et ronde à sa sortie et qui perd tôt de son éclat ne conservant ensuite de rondeurs que celles des volutes du texte qu'elle laisse derrière.

J'aime aussi la pause obligée quand vient le temps d'accomplir avec lenteur et attention cette tâche délicate qui consiste à remplir le réservoir du stylo avec toutes les lettres non encore écrites et les mots non encore dits. Tout alors est encore possible.

Hier j'ai changé de couleur d'encre. Jusque là j'écrivais en noir. Depuis j'écris en bleu-noir. La couleur de l'encre module-t-elle l'écriture ? Influe-t-elle le choix des mots selon leur forme, leur sonorité, leur sens ? Y aurait-il dans la couleur de l'encre une subtile force évocatoire ? La prochaine fois, j'achèterai une bouteille d'encre bleue. Et de la verte ? Peut-être pas. Je me souviens, il y a longtemps, très longtemps, avoir utilisé de l'encre verte et n'en avoir éprouvé aucun plaisir sinon celui que procure le fait de prétendre à la distinction.

"Vous n'avez qu'une vie à vivre. Pourquoi ne pas la vivre en blonde ?"
Miss Clairol
"The book is in the pen." = "Le livre est dans le poulailler."
Mrs Clairol

Parole de dieu

Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul, je vais lui trouver quelque chose à se mettre sous l'Adam."

mardi 27 avril 2010

Le monde

Gand-Mére est une petite ville triste et décrépite. On n'y croise que très rarement de jeunes enfants musards dérivant de la ligne droite des trottoirs crevassés vers un passage secret d'eux seuls connu et qui leur permet de se faufiler comme le font les chats entre les maisons, les hangars et les bosquets, sautant ici une clôture, évitant là un molosse attaché de la taille d'un caniche nain, pour atteindre cette autre rue qui n'est pas sur le chemin de l'école mais où on a trouvé hier un "castor*" échappé de la poche d'un travailleur revenant du moulin.

Il fut un temps où cette ville était belle comme le sont les femmes mûres dont l'âme, pour un temps apaisée entre les affres de l'adolescence et les ignobles tourments de la vieillesse, se manifeste dans l'insolente aisance du port, la folle assurance des mouvements, l'élégance hardie du regard, l'audace souriante de la voix. En ce temps où Grand-Mère était une femme mûre, à la sagesse frondeuse, je découvrais le monde en m'émerveillant de la diversité des oriflammes suspendues aux cordes à linge les lundis de lessive, en m'interrogeant sur le propriétaire improbable d'une lourde voiture à cheval remisée depuis des temps pour moi immémoriaux dans un hangar derrière la maison et que l'on devinait en plongeant le regard dans l'échancrure d'une porte toujours entrebâillée, en écoutant attentivement sans y rien comprendre, parce que tenues dans une langue qui était aussi la mienne mais dont tant de mots, d’expressions, de tournures m’étaient étrangers, les conversations entre Ti-Noir et T-Bi, l'un originaire de Weymontachie, l'autre de l'Abitibi et qui tous deux parcouraient le monde au delà du moulin, sans jamais partir pour plus de quelques heures, au volant de voitures taxis qu'ils conduisaient pour Venant, le propriétaire de la petite flotte.

Il y avait dans ma cour un monde: des hangars de bois de dimensions et de formes diverses dont plusieurs étaient inutilisés; derrière le magasin de fruits, un logement habité par un couple de gens très âgés qui survivaient grâce à la débrouillardise et à l'ingéniosité de la vieille, à son jardinet et à ses quelques poules; une maisonnette dont le numéro civique était suivi de la lettre "A" et qui fut habitée un court moment par une vieille femme, folle peut-être: un cabanon dans lequel les chauffeurs de taxi roupillaient entre les courses malgré les sonneries du téléphone; les entrées de service d'un restaurant "cuisine canadienne et repas légers" et d'une pharmacie de quartier dans laquelle officiait, taciturne, l'oncle de Ti-Pierre, mon voisin de palier et camarade de jeux, dont le père fumait des cigarettes qu'on disait américaines; un longiforme réservoir de mazout à moitié enterré et qui donnait sur un mur aveugle de l'immeuble voisin, lequel logeait un grand magasin de vêtements pour hommes et femmes dont on disait qu’il était le mieux pourvu de la ville; un sentier peu fréquenté qui allait depuis l'arrière du cabanon des taxis jusqu'à la cour de la vieille maison sombre du cordonnier Petit, un homme malingre affligé d'une forte claudication et qui, pour cette raison, inspirait de grandes frayeurs à tous les petits.

C'était un univers de revenances, de survenances et de partances tel que ne me vint pas, en ces temps d'une rondeur pleine, l'idée d'escalader ce mur presque oublié qui fermait le passage entre deux hangars et du haut duquel j'aurais peut-être pu apercevoir l'Amérique toute entière si toutefois j'avais pu soupçonner qu'il se pouvait exister ici ou ailleurs un Autre Monde qui ne fût pas ma cour.
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* "castor": pièce de cinq cents

dimanche 25 avril 2010

Printemps 3

L'érablière lentement s'éveille.
Depuis qu'il ne reste de neige que quelques amas épars, les bruits ne sont plus les mêmes. Ils sont plus francs, plus secs. Même le craquement des arbres est plus clair.
La lumière est ample et se répand sur le sol couvert de feuilles comme une ardente caresse. Elle donne aux bruns et aux ocres l'éclat qui manque, sous la frondaison de l'été, à leurs nuances fines.
J'entends le bruissement de la course allègre de l'écureuil, le froissis du battement d'ailes des mésanges, le sifflotis de l'air en cavale entre les branches et, tout à coup, le martèlement saccadé du pic qui pioche, "picosse" et picore.
Rien encore ne laisse présager les profusions à venir dont les débordements, quels que soient nos rêves, ne viendront pas à bout de nos indigences.

jeudi 22 avril 2010

Ma fenêtre


J'ai vu l'écureuil noir
Son frère le bouleau blanc
Ici le rouge du bourgeon qui pointe
Là l'ébauche de la feuille esquissée

Sous l'ostryer, le hêtre, l'érable et le frêne
Se dressent courbées l'érythrone discrète et le trille fantasque
Sous les pierres grises et dans les flaques frileuses
Se languissent de vivre des fièvres ardentes

Dans le pré voisin
Le lombric danse, le merle chante
Un vent tiède et chaud ranime les chaumes
L'air est miel lors que j'ouvre ma fenêtre

Pluie d'avril

Fades, gris et froids,
Tombent, chantent, ruissellent, et s'en vont
Les verts odorants.

lundi 19 avril 2010

Quand je vis le menu

Quand je vis le menu de maman dans le chaton de ma nouvelle bague, je me suis prise à regretter qu'il ne fut pas plutôt serti dans la girandole que je tiens de tante Aurélie et à laquelle il manquait, quand on me la confia, un brillant de la taille du menu. Quelques fois je me dis que maman aurait pu mourir plus tôt, m'évitant ainsi cette déception. D'autres fois je ne m'en prends qu'à moi de m'être trop pressée de porter le pendentif de tante chez le joaillier. Il eut été plus simple de consentir à ce que les choses advinssent en leur temps plutôt que de céder, comme je le fais souvent, à mon empressement.

Menu: petit diamant taillé en brillant ou en rose.

Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait d'écrire, en prose ou en vers, un texte commençant par l'incipit : "Quand je vis le menu".

dimanche 18 avril 2010

Partance

Voyager comme l'oie blanche
Ourdir des délires espiègles
Lustrer de noires espérances
Craindre le courroux des fleurs
Au risque de se repaître d'illusions.
Nouvelle partance à demeure
Sans âmes mortes, ni coeurs légers

Délivrance

"Une grande partie du trafic aérien dans le nord de l'Europe restait paralysée samedi en raison du nuage de cendres rejeté par un volcan islandais.
(AP, 17 avril 2010)

Des monts acérés ont jailli des sortilèges
Les crêtes et les flancs ont fulminé
Comme de rage contenue

Les glaces ont repris le chemin des eaux
Se sont cailloutées les nues laiteuses
Comme volée d'oies cendrées

Le ciel s'est tu, toute migration cessante

La mise aux arrêts des foules agitées
Confine l'homme à son cloître
Le contraint à sa délivrance

samedi 17 avril 2010

Printemps 2

Sous la liqueur grise du ciel
S'étale la cendre des feux anciens.

Derrière les rameaux
Se taisent les branches.

L'herbe verte pointe qui masque le chaume.

Mes joies tout à coup frissonnent
Et se ternissent les lustres des plaisirs éteints.

L'été encore s'apprête à farder la constance de l'hiver.

Murs

Je tends la main vers la lumière
Qui suinte des murs de l'ennui.
Le jour et la nuit, tout autant que les dieux,
Ne chantent ni ne dansent,
Ne sachant rire ni mourir.

vendredi 16 avril 2010

Printemps 1

Se gorger d'humus
S'engrosser de lumière
Rupture de froidure

Tanka 3

Une table froide
Un porte document roux
Des gants bouchonnés.
-Ne vivent que les bourgeons
Accrochés aux branches frêles.

Tanka 2

Murs gris tout autour
Bourgeons roses aux fenêtres
Frimas d'encre noire.
- Au loin coule la rivière
Chante, cantilène, chante.

lundi 12 avril 2010

Tanka 1

La voix grêle et frêle
Le grattouillis de la plume
Sur les mots qui sèchent.
- Ne vivent que les bourgeons
Loin des fenêtres closes.

vendredi 9 avril 2010

Célébration de l'An 1 du Grand Malak

Malak City, 8 avril 2010 - Les Malaques célèbrent aujourd'hui dans l'euphorie l'arrivée de l'An 1 du Grand Malak. On se souvient qu'à cette même date l'an dernier la population des Îles Malaks, cet archipel paradisiaque de l'Océan Turpide, perdait son Président, le Grand Malak. Les sujets du Bien-Aimé avaient été vite rassérénés par l'héritage vivant que leur laissait le Président. Voici d'ailleurs le dernier texte écrit de la main du Grand Malak avant son décès. Il s'agit du dithyrambe successoral traditionnel rendu public aujourd'hui en même temps qu'une distribution de sardines Brunswick au citron et à la moutarde (1).


Vous êtes plus que ce que nous sommes et ne fûmes jamais.


Vous êtes né avant que le siècle dernier ne sache qu'il s'achevait. Vous êtes le devenir du monde. Nous l'avons été.


Vos ailes sont larges et fortes. Vous volez et volerez plus haut, plus loin que jamais nous ne le fîmes ni ne le ferons.


Votre détermination est grande. Votre force inépuisable. Vous survolerez, et le savez, des mers et des mondes de nous insoupçonnés.


C'est à raison que vous trépignez d'impatience par nous contraints de languir après le futur qui tarde.


Contenez vos pleurs, votre rage. Célébrez votre âge, nous partons. Vous êtes les temps modernes et s'achève l'âge sombre.


Il nous tarde de partir et de vous laisser au monde en héritage.


Sous peu nous ne serons plus. Tous saurons que vous êtes.

Notre sortie sera votre entrée. Notre éclipse illuminera la terre de vos feux.


De l'Espagne, du Portugal et de la Grèce même, vous ferez des fiefs. Le Maure en son califat vous célébrera. Et la seule évocation de votre magnificence suffira à ternir l'éclat de tous les trésors de l'empire Moghol,


Par dessus tout, le peuple aimant vous acclamera à jamais, le soir, au fond des bois, ô Grand Cor Malak, assouvissement de toutes les espérances.


(1) Les sardines BRUNSWICK sont des harengs juvéniles du Nord de l’Atlantique qui mesurent de 13 à 18 cm (5 à 7 po) de longueur.



Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Le thème de la semaine: le dithyrambe.

dimanche 4 avril 2010

Très-Saint-Père

L'hostie québécoise est un des plaisirs coupables de notre Très-Saint-Père. "Toastée des deux bords", elle lui rappelle les plorines dans le sirop d'érable de Soeur Berthe qu'il a connue du temps où les guerriers Mongols enculaient des blattes germaniques avant la sieste. Bien que mon père était croyant, il n'en croyait rien. Pour son humble part, il préférait les sandwichs avec pas de croûte tout comme le frère René sur le dos duquel le grand Champagne avait cassé la grosse règle de chêne accrochée au fond de la classe. Il ne pleuvait pas ce jour là, me faut le dire.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Je dispose de 1200 caractères. Le reste, c'est de la frime.