Pages

dimanche 9 mai 2010

Avoines bleues

Trois avoines bleues
Ébouriffées
Trois avoines folles
Au vent se pavanent

Trois reines en goguette
Touffes en panache
Attendent un train
Qui ne passe pas

Trois mésanges affairées
Grapillent non loin
Quelques larves qui vaillent
Pour l'hiver qui vient

Cour de presque automne

Quelques grands érables
Des samares au vent
Mille jeunes pousses

Des cormiers en lisière
Des grappes fermentées
Quelques oiseaux ivres

Un amélanchier de nulle part
Quelques ronces odorantes
La verge d'or s'étiole

samedi 8 mai 2010

Premier été

Au commencement étaient le rouge, le jaune et l'orangé.
Il y eut aussi les noirs, les gris et les bruns.
Surgirent ensuite les blancs de terre et les bleus de ciel.
Vint enfin le vert le jour où vint la vie.

Il mollifia le blanc, réchauffa le bleu,
Attendrit le rouge et le noir,
Adoucit les gris, les bruns et les orangés.

Des arbres on ne vit bientôt plus que leurs troncs dressés desquels s'élançaient des branches fortes vers le ciel en quelque au-delà, loin, très loin des cimes opaques. Ainsi débuta sous une sombre lumière la fervente célébration païenne qui dura tout un été.

mardi 4 mai 2010

La part d'ombre

Sa part d'ombre avait à mes yeux autant d'éclat que sa part de lumière. Je l'aimais.

Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait "la part d'ombre".

lundi 3 mai 2010

Bibliothèque municipale

La voix basse
Je regarde l'heure
Deux livres à la main

Une souris blanche
Dort sur son tapis
On ferme à vingt heures

La planète en boule
Trône sur l'étagère
Du monde en feuillets

La poussière fine
Des livres décatis
Me prend à la gorge

Je devine soudain
Que dehors m'attend
Il fait nuit déjà

Neige de mai

Chuinte la neige
Sous les pneus d'été
Parcours alternatif

Haïku 4

Les neiges de mai
Ne sont que fleurs d'eau
Pétales enlacés

dimanche 2 mai 2010

Les abois

Une bruine glaciale
De fins bavardages
Couvre la mince coulée
S'échappant de sa plume

Les mots soudain sont froids
Leur glaçure se fendille

L'homme aux abois se tait
De peur que ne s'épuise
La veine d'argile
Dont il panse son âme

vendredi 30 avril 2010

Fenêtre d'hôpital

De la fenêtre du 5e de ce petit hôpital construit sur une butte rocheuse, je vois au bout de la rue, droit devant, des rames enlacées à flanc de colline et qui forment un voile fin sous lequel on devine que s'abritent de fragiles pousses sorties de leur torpeur par le soleil d'avril. Des bourgeons s'accrochent à ce tissu aérien et le renflement des plus tardifs clôt le ciel de bouquets de bruine qui vont du rose pâle au rouge sombre tandis que l'éclosion des plus hâtifs produit d'admirables lavis sur lesquels les verts les plus doux se côtoient. Quelques taches vives tranchent sur la finesse de ces primeurs exquises et annoncent la forêt pour l'heure discrète. Ce sont des épinettes et des thuyas.

jeudi 29 avril 2010

D'encre et de couleurs

J'écris au stylo-plume pour la douceur de la course de l'outil, le chuintement de la pointe sur la feuille, la fine coulée de l'encre luisante et ronde à sa sortie et qui perd tôt de son éclat ne conservant ensuite de rondeurs que celles des volutes du texte qu'elle laisse derrière.

J'aime aussi la pause obligée quand vient le temps d'accomplir avec lenteur et attention cette tâche délicate qui consiste à remplir le réservoir du stylo avec toutes les lettres non encore écrites et les mots non encore dits. Tout alors est encore possible.

Hier j'ai changé de couleur d'encre. Jusque là j'écrivais en noir. Depuis j'écris en bleu-noir. La couleur de l'encre module-t-elle l'écriture ? Influe-t-elle le choix des mots selon leur forme, leur sonorité, leur sens ? Y aurait-il dans la couleur de l'encre une subtile force évocatoire ? La prochaine fois, j'achèterai une bouteille d'encre bleue. Et de la verte ? Peut-être pas. Je me souviens, il y a longtemps, très longtemps, avoir utilisé de l'encre verte et n'en avoir éprouvé aucun plaisir sinon celui que procure le fait de prétendre à la distinction.

"Vous n'avez qu'une vie à vivre. Pourquoi ne pas la vivre en blonde ?"
Miss Clairol
"The book is in the pen." = "Le livre est dans le poulailler."
Mrs Clairol

Parole de dieu

Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul, je vais lui trouver quelque chose à se mettre sous l'Adam."

mardi 27 avril 2010

Le monde

Gand-Mére est une petite ville triste et décrépite. On n'y croise que très rarement de jeunes enfants musards dérivant de la ligne droite des trottoirs crevassés vers un passage secret d'eux seuls connu et qui leur permet de se faufiler comme le font les chats entre les maisons, les hangars et les bosquets, sautant ici une clôture, évitant là un molosse attaché de la taille d'un caniche nain, pour atteindre cette autre rue qui n'est pas sur le chemin de l'école mais où on a trouvé hier un "castor*" échappé de la poche d'un travailleur revenant du moulin.

Il fut un temps où cette ville était belle comme le sont les femmes mûres dont l'âme, pour un temps apaisée entre les affres de l'adolescence et les ignobles tourments de la vieillesse, se manifeste dans l'insolente aisance du port, la folle assurance des mouvements, l'élégance hardie du regard, l'audace souriante de la voix. En ce temps où Grand-Mère était une femme mûre, à la sagesse frondeuse, je découvrais le monde en m'émerveillant de la diversité des oriflammes suspendues aux cordes à linge les lundis de lessive, en m'interrogeant sur le propriétaire improbable d'une lourde voiture à cheval remisée depuis des temps pour moi immémoriaux dans un hangar derrière la maison et que l'on devinait en plongeant le regard dans l'échancrure d'une porte toujours entrebâillée, en écoutant attentivement sans y rien comprendre, parce que tenues dans une langue qui était aussi la mienne mais dont tant de mots, d’expressions, de tournures m’étaient étrangers, les conversations entre Ti-Noir et T-Bi, l'un originaire de Weymontachie, l'autre de l'Abitibi et qui tous deux parcouraient le monde au delà du moulin, sans jamais partir pour plus de quelques heures, au volant de voitures taxis qu'ils conduisaient pour Venant, le propriétaire de la petite flotte.

Il y avait dans ma cour un monde: des hangars de bois de dimensions et de formes diverses dont plusieurs étaient inutilisés; derrière le magasin de fruits, un logement habité par un couple de gens très âgés qui survivaient grâce à la débrouillardise et à l'ingéniosité de la vieille, à son jardinet et à ses quelques poules; une maisonnette dont le numéro civique était suivi de la lettre "A" et qui fut habitée un court moment par une vieille femme, folle peut-être: un cabanon dans lequel les chauffeurs de taxi roupillaient entre les courses malgré les sonneries du téléphone; les entrées de service d'un restaurant "cuisine canadienne et repas légers" et d'une pharmacie de quartier dans laquelle officiait, taciturne, l'oncle de Ti-Pierre, mon voisin de palier et camarade de jeux, dont le père fumait des cigarettes qu'on disait américaines; un longiforme réservoir de mazout à moitié enterré et qui donnait sur un mur aveugle de l'immeuble voisin, lequel logeait un grand magasin de vêtements pour hommes et femmes dont on disait qu’il était le mieux pourvu de la ville; un sentier peu fréquenté qui allait depuis l'arrière du cabanon des taxis jusqu'à la cour de la vieille maison sombre du cordonnier Petit, un homme malingre affligé d'une forte claudication et qui, pour cette raison, inspirait de grandes frayeurs à tous les petits.

C'était un univers de revenances, de survenances et de partances tel que ne me vint pas, en ces temps d'une rondeur pleine, l'idée d'escalader ce mur presque oublié qui fermait le passage entre deux hangars et du haut duquel j'aurais peut-être pu apercevoir l'Amérique toute entière si toutefois j'avais pu soupçonner qu'il se pouvait exister ici ou ailleurs un Autre Monde qui ne fût pas ma cour.
_________________________
* "castor": pièce de cinq cents

dimanche 25 avril 2010

Printemps 3

L'érablière lentement s'éveille.
Depuis qu'il ne reste de neige que quelques amas épars, les bruits ne sont plus les mêmes. Ils sont plus francs, plus secs. Même le craquement des arbres est plus clair.
La lumière est ample et se répand sur le sol couvert de feuilles comme une ardente caresse. Elle donne aux bruns et aux ocres l'éclat qui manque, sous la frondaison de l'été, à leurs nuances fines.
J'entends le bruissement de la course allègre de l'écureuil, le froissis du battement d'ailes des mésanges, le sifflotis de l'air en cavale entre les branches et, tout à coup, le martèlement saccadé du pic qui pioche, "picosse" et picore.
Rien encore ne laisse présager les profusions à venir dont les débordements, quels que soient nos rêves, ne viendront pas à bout de nos indigences.

jeudi 22 avril 2010

Ma fenêtre


J'ai vu l'écureuil noir
Son frère le bouleau blanc
Ici le rouge du bourgeon qui pointe
Là l'ébauche de la feuille esquissée

Sous l'ostryer, le hêtre, l'érable et le frêne
Se dressent courbées l'érythrone discrète et le trille fantasque
Sous les pierres grises et dans les flaques frileuses
Se languissent de vivre des fièvres ardentes

Dans le pré voisin
Le lombric danse, le merle chante
Un vent tiède et chaud ranime les chaumes
L'air est miel lors que j'ouvre ma fenêtre

Pluie d'avril

Fades, gris et froids,
Tombent, chantent, ruissellent, et s'en vont
Les verts odorants.

lundi 19 avril 2010

Quand je vis le menu

Quand je vis le menu de maman dans le chaton de ma nouvelle bague, je me suis prise à regretter qu'il ne fut pas plutôt serti dans la girandole que je tiens de tante Aurélie et à laquelle il manquait, quand on me la confia, un brillant de la taille du menu. Quelques fois je me dis que maman aurait pu mourir plus tôt, m'évitant ainsi cette déception. D'autres fois je ne m'en prends qu'à moi de m'être trop pressée de porter le pendentif de tante chez le joaillier. Il eut été plus simple de consentir à ce que les choses advinssent en leur temps plutôt que de céder, comme je le fais souvent, à mon empressement.

Menu: petit diamant taillé en brillant ou en rose.

Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait d'écrire, en prose ou en vers, un texte commençant par l'incipit : "Quand je vis le menu".

dimanche 18 avril 2010

Partance

Voyager comme l'oie blanche
Ourdir des délires espiègles
Lustrer de noires espérances
Craindre le courroux des fleurs
Au risque de se repaître d'illusions.
Nouvelle partance à demeure
Sans âmes mortes, ni coeurs légers

Délivrance

"Une grande partie du trafic aérien dans le nord de l'Europe restait paralysée samedi en raison du nuage de cendres rejeté par un volcan islandais.
(AP, 17 avril 2010)

Des monts acérés ont jailli des sortilèges
Les crêtes et les flancs ont fulminé
Comme de rage contenue

Les glaces ont repris le chemin des eaux
Se sont cailloutées les nues laiteuses
Comme volée d'oies cendrées

Le ciel s'est tu, toute migration cessante

La mise aux arrêts des foules agitées
Confine l'homme à son cloître
Le contraint à sa délivrance

samedi 17 avril 2010

Printemps 2

Sous la liqueur grise du ciel
S'étale la cendre des feux anciens.

Derrière les rameaux
Se taisent les branches.

L'herbe verte pointe qui masque le chaume.

Mes joies tout à coup frissonnent
Et se ternissent les lustres des plaisirs éteints.

L'été encore s'apprête à farder la constance de l'hiver.

Murs

Je tends la main vers la lumière
Qui suinte des murs de l'ennui.
Le jour et la nuit, tout autant que les dieux,
Ne chantent ni ne dansent,
Ne sachant rire ni mourir.

vendredi 16 avril 2010

Printemps 1

Se gorger d'humus
S'engrosser de lumière
Rupture de froidure

Tanka 3

Une table froide
Un porte document roux
Des gants bouchonnés.
-Ne vivent que les bourgeons
Accrochés aux branches frêles.

Tanka 2

Murs gris tout autour
Bourgeons roses aux fenêtres
Frimas d'encre noire.
- Au loin coule la rivière
Chante, cantilène, chante.

lundi 12 avril 2010

Tanka 1

La voix grêle et frêle
Le grattouillis de la plume
Sur les mots qui sèchent.
- Ne vivent que les bourgeons
Loin des fenêtres closes.

vendredi 9 avril 2010

Célébration de l'An 1 du Grand Malak

Malak City, 8 avril 2010 - Les Malaques célèbrent aujourd'hui dans l'euphorie l'arrivée de l'An 1 du Grand Malak. On se souvient qu'à cette même date l'an dernier la population des Îles Malaks, cet archipel paradisiaque de l'Océan Turpide, perdait son Président, le Grand Malak. Les sujets du Bien-Aimé avaient été vite rassérénés par l'héritage vivant que leur laissait le Président. Voici d'ailleurs le dernier texte écrit de la main du Grand Malak avant son décès. Il s'agit du dithyrambe successoral traditionnel rendu public aujourd'hui en même temps qu'une distribution de sardines Brunswick au citron et à la moutarde (1).


Vous êtes plus que ce que nous sommes et ne fûmes jamais.


Vous êtes né avant que le siècle dernier ne sache qu'il s'achevait. Vous êtes le devenir du monde. Nous l'avons été.


Vos ailes sont larges et fortes. Vous volez et volerez plus haut, plus loin que jamais nous ne le fîmes ni ne le ferons.


Votre détermination est grande. Votre force inépuisable. Vous survolerez, et le savez, des mers et des mondes de nous insoupçonnés.


C'est à raison que vous trépignez d'impatience par nous contraints de languir après le futur qui tarde.


Contenez vos pleurs, votre rage. Célébrez votre âge, nous partons. Vous êtes les temps modernes et s'achève l'âge sombre.


Il nous tarde de partir et de vous laisser au monde en héritage.


Sous peu nous ne serons plus. Tous saurons que vous êtes.

Notre sortie sera votre entrée. Notre éclipse illuminera la terre de vos feux.


De l'Espagne, du Portugal et de la Grèce même, vous ferez des fiefs. Le Maure en son califat vous célébrera. Et la seule évocation de votre magnificence suffira à ternir l'éclat de tous les trésors de l'empire Moghol,


Par dessus tout, le peuple aimant vous acclamera à jamais, le soir, au fond des bois, ô Grand Cor Malak, assouvissement de toutes les espérances.


(1) Les sardines BRUNSWICK sont des harengs juvéniles du Nord de l’Atlantique qui mesurent de 13 à 18 cm (5 à 7 po) de longueur.



Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Le thème de la semaine: le dithyrambe.

dimanche 4 avril 2010

Très-Saint-Père

L'hostie québécoise est un des plaisirs coupables de notre Très-Saint-Père. "Toastée des deux bords", elle lui rappelle les plorines dans le sirop d'érable de Soeur Berthe qu'il a connue du temps où les guerriers Mongols enculaient des blattes germaniques avant la sieste. Bien que mon père était croyant, il n'en croyait rien. Pour son humble part, il préférait les sandwichs avec pas de croûte tout comme le frère René sur le dos duquel le grand Champagne avait cassé la grosse règle de chêne accrochée au fond de la classe. Il ne pleuvait pas ce jour là, me faut le dire.

mercredi 24 mars 2010

Le bon docteur S.

Le jour pointe. Dieu est mort il y a quelques heures, docteur Schweitzer. N'êtes-vous pas sagittaire, il me semble ?

lundi 22 mars 2010

Lumière hivernale

Sous l'éclatante lumière hivernale, des lampadaires éteints projettent leur ombre sur la neige. Le vieil homme enjambe machinalement ces fêlures grises comme il évitait enfant de marcher sur les interstices entre les dalles de l'unique trottoir de macadam de son village. Au Nord où il vit maintenant l'hiver est tout autre qu'en son pays d'enfance. Les jours y sont courts, les nuits longues. La lumière y est crue, l'obscurité vive. Y règne la droiture du froid.


Chaque croisement d'ombre le ramène un peu plus loin. D'où il vient. D'où il est. Dans le Sud où il a vécu des jours sombres et des nuits blanches sous la morne lumière hivernale des lampadaires qui difficilement perçait les fumées âcres des dépôts d'ordure le long desquels il errait le jour et dont les images le terrorisaient la nuit. Le terrorisent encore.


Un chien jappe tout près. Demain il se fera conduire de Corner Brook à Gros Morne où il pourra poursuivre son errance parmi de spectaculaires structures géologiques qui y témoignent de la tectonique des plaques.




Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait d'inclure dans son texte "sous la morne lumière hivernale des lampadaires".

lundi 15 mars 2010

La dernière voltige

Ce ciel étale dont la courbure parfaite s'alanguit

Cette claire caresse des nues qui se travestit en volutes sombres


Graves tourbillons des ombres qui montent

Lourde occlusion du ciel qui s'affaisse


S'avancent les trombes

Éclatent les foudres


Qu'enfin dans une bruine inaccessible

Se dissolve le feu en un arc éphémère


Nous mourrons de nos naissances

Comme s'allument les eaux


A las cinco de la tarde de nos jeux icariens




Une première version de ce texte a été écrite pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait "le feu en 200 mots (environ)".

lundi 8 mars 2010

Il a plu

Ce texte a d'abord été écrit pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait :
  • un choix entre "plaire" et "pleuvoir". Le texte devait nécessairement commencer par ces trois mots: "Il (ou elle) a plu..."
  • On peut lire les résultats de cet exercice sur http://www.impromptuslitteraires.fr

Il a plu des éclats de soleil. Par milliers. Puis l'obscurité imposa sa présence. Un voile blanc. Léger d'abord. Puis de plus en plus opaque. Gris ensuite. Noir enfin.

Et dans le noir, un bruit sourd. Un roulement venu de loin. Un long craquement à mi-course. Un coup sec à terme. D'une force inouïe. Le silence à la fin. Blanc.

Nous avions à peine eu le temps de gagner les abris que déjà le souffle rasait tout sur son passage.

Jamais plus je n'entendis Ella chanter "Isn't this a lovely day to be caught in the rain".

mardi 2 mars 2010

Les mères de notaire II

En novembre 2005, au Café Byblos, j'ai crié "Vos gueules, les mères de notaire". Ce cri sur les mères "cloneuses", ces inaccessibles parangons d'orgueil, est consigné ici, un peu plus bas. La même émotion, le même trouble me revient encore ces jours-ci. Peut-être parce qu'à ton tour te voilà père, mon fils.

Ce cri alors m'est venu témoin que j'étais de la relation d'une jeune mère avec son fils. Appelons-la Êve, appelons-le Justin. Il avait presque trois ans. J'étais choqué par la relation de Êve avec son fils. J'étais constamment outré de voir comment elle prétendait lire en lui, lire ses émotions, ses sentiments, ses pensées. En réalité, ce qu'elle faisait c'était non pas lire mais écrire en lui ce qu'il était sensé éprouver, sentir, penser. Elle se donnait à ses propres yeux et à ceux des autres l'image d'une mère à l'écoute de son enfant, d'une mère qui aide son enfant à se découvrir. Mais c'est elle qu'elle écoutait tout en inventant un enfant qu'elle imaginait. Tout en lui martelant la cervelle et le coeur et l'âme pour qu'il devienne ce qu'elle croyait qu'il était. Elle prétendait connaître tous les ressorts de ses actes à lui l'enfant. Dans les faits elle dictait, imposait à Justin l'interprétation de ses actes. Elle l'expropriait de lui-même. L'enfant bien sûr résistait. Fermement. Durement. Violemment. L'enfant refusait avec raison de s'en laisser tant imposer.

C'est évidemment à ma mère, à ma relation à ma mère que me renvoyait la virulence de Êve à donner le sens, la résistance de Justin à cette imposition. Maman avait d'autres façons d'imposer le sens. Mais elles étaient tout aussi violentes d'autant plus qu'elles étaient sourdes. J'imagine que Louise, ma soeur aînée, devait ressembler à Justin dans ses refus d'être définie par la volonté d'autrui. Elle n'était pas que rétive. Elle ruait. Pour ma part j'ai adopté une résistance passive, silencieuse. Laissant dire et laissant faire. Me renfermant dans une coquille protectrice. Je parlais peu. J'ai peut-être appris de mon père cette forme de résistance.

J'ai tant vu de ces mères despotes et geôlières d'âmes que j'en suis à me demander comment certaines peuvent parvenir à échapper à ce rôle, peuvent parvenir à considérer que leur enfant n'est pas qu'un prolongement d'elles-mêmes. Comment certaines parviennent-elles à vraiment accoucher, à vraiment rompre le cordon, à vraiment donner la vie à un enfant et à la lui laisser.

J'ai tant vu de ces mères que je me demande pourquoi on parle si peu du meurtre de la mère et tant du meurtre du père. Mais mon propos n'est pas là. Ma question est ailleurs. Que peut faire le père d'un enfant qui a une telle mère? Qu'aurait pu faire mon père au lieu que de se taire, qu'aurait pu faire mon copain Claude au lieu que de se taire, que fais Marc, le conjoint de Êve, pour donner à Justin une chance d'être? Que pourrais-tu faire, mon fils, si la mère de ton fils était telle? Ta mère n'était pas ainsi, que je me souvienne. Ou si elle l'était, ce n'était pas avec autant d'intensité. Je n'ai pas eu comme père à contrer cet emmurement. Comme fils, oui.

lundi 1 mars 2010

La belle de Cap-Chat

Ce texte a d'abord été écrit pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait :

Il y a loin de Montréal à Matane. Plus de 600 km de fleuve. Il y a loin de programmeur chez Ubisoft, dans le Mile-End montréalais, à pigiste chez Gagnon Enseignes, dans le parc industriel de Matane.

J'ai découvert la belle Doris au café Romolo, loin, très loin de sa Gaspésie. J'ai d'abord entendu son accent, sa musique de bord de mer. Et puis j'ai vu ses yeux comme un horizon lointain. Elle m'a dit qu'elle n'était que de passage à Montréal et qu'un monde séparait le Romolo de la cantine Chez Jacynthe où elle aimait traîner là-bas dans son pays d'estuaire.

C'était en mars. Nous sommes en juin. Je viens d'arriver à Matane. Je commence lundi chez Gagnon Enseignes. J'ai toujours avec moi le carton d'allumettes du Café Jacynthe, à une heure de route d'ici, où j'irai moi aussi flâner dans l'espoir d'y retrouver Doris, la belle de Cap-Chat.

dimanche 28 février 2010

Et vous...

N'aspirez-vous pas, vous aussi, au bonheur des pierres ?

samedi 27 février 2010

Une ville triste

J'ai arpenté ce matin, comme je le fais souvent, histoire de garder la forme, la rue principale de Grand-Mère qui fut le théâtre de toutes mes premières ou presque. J'en ai quelques fois occupé la scène. Le plus souvent je fus spectateur. Il m'est aussi arrivé de vivre dans les coulisses.

Malgré la neige abondante des derniers jours, les trottoirs sont bien dégagés. Le temps est doux. Au début je marche d'un pas vif, face au nordais, évitant les flaques d'eau que la fonte rapide des bancs de neige multiplie aux intersections. Je marche tête haute.

Sentant une lourdeur m'envahir j'ai ralenti le pas à la hauteur de l'église devant laquelle j'ai grandi. Ma respiration aussi se fit plus lente. Un peu plus loin, à la hauteur du "Bravo Pizzeria", une vieille dame dans un manteau trop grand pour elle et trop chaud pour le temps s'était arrêtée presque sous l'enseigne lumineuse éteinte à cette heure malgré la grisaille du jour. Elle portait aussi un bonnet de laine d'un vert encore foncé quoique délavé dont la couleur défraîchie rejoignait presque celle du manteau long qu'on pouvait soupçonner d'avoir déjà été marine. Le lacet trop long d'un de ces bottillons, comme ceux que portent les marcheurs, était détaché et pendait tortillé sur le sol. La vieille appuyée sur sa canne fixait l'enseigne tout en haut comme pour déchiffrer un sens caché derrière "steak et fruits de mer" écrit en lettre de feu. Elle ne broncha pas quand je passai près d'elle.

À quelques pas de là les anciennes vitrines de ce qui fut "chez Lampron", tabagie, plomberie, librairie et salle de quilles tout à la fois, sont maintenant habillées de stores verticaux donnant ainsi un peu d'intimité au "Café de l'amitié". Sur les vitres, sont collées des affichettes indiquant qu'on peut trouver ici de l'aide psychologique. Rendu face au rocher en forme de grand-mère qui donna son nom à la ville à la fin du XIXe siècle, je rebroussai chemin. Malgré le vent de dos, mon pas n'avait cesse de ralentir, mes épaules de se vouter, ma tête de se faire plus lourde.

Cette ville est triste de se mourir. Et je lui ressemble. Elle n'a plus d'âme depuis longtemps. C'est de cela qu'elle se meurt. Je ne devrais pas marcher seul sur la rue principale. La prochaine fois, je marcherai avec un copain et nous parlerons technologie et rénovation domiciliaire. Il fera peut-être plus froid. Il fera peut-être soleil. Nous parlerons d'autres choses avant de nous arrêter à "La place du Café". Il y aura là le patron du café qui pitonne son ordi en attendant que le travail reprenne au printemps à son atelier de fabrication de quais de bois, la patronne qui nous accueillera de son habituel "salut les gars", le retraité de la Consol qui sirotera son capuccino sucré, un vieux tireur de joint venu prendre deux toasts et un café avant d'aller donner la dernière couche, une dame presque aveugle qui en sortant s'arrêtera longtemps devant les pâtisseries pour s'imprégner de leur image toujours plus floues avant qu'elles ne disparaissent pour de bon.

vendredi 26 février 2010

Citation 1

"L'homme est la seule créature qui refuse d'être ce qu'elle est."
Albert Camus, L'homme révolté

mercredi 24 février 2010

L'archiprêtre, le clerc et les lais

Ce texte a d'abord été écrit pour les "Impromptus littéraires", un atelier virtuel où l'on écrit "sous la contrainte". Cette semaine on y proposait :

  • de reprendre l'incipit du dernier roman de Christian Oster "Chaque matin, vers dix heures, je me levais..." pour commencer votre texte.
  • d'y glisser également son titre "dans la cathédrale".
On peut lire les résultats de cet exercice sur http://www.impromptuslitteraires.fr



L'archiprêtre, le clerc et les lais.


Chaque matin, vers dix heures, je me levais pour accueillir le grand insipide, "Bonjour monsieur le directeur", qui venait par lui-même évaluer la performance d'une équipe de cancrelats dont la tâche consistait à recevoir les appels de niquedouilles appâtés par une pub télé vantant les mérites d'une racine merdique aux propriétés d'autant plus désirables qu'elles demeuraient mystérieuses. On exigeait d'eux qu'ils ferrent le nigaud à trente à l'heure: conclure la vente, noter le numéro de carte de crédit, l'adresse de livraison et flagorner le lièvre. Trente à l'heure c'était le plancher.


La salle tout en long comportait deux rangées de minuscules bureaux à cloisons. On asseyait le cancrelat sur une stalle devant un écran plat et un clavier aux touches élimées. On l'attifait d'un casque d'écoute de mauvaise qualité et vogue la galère de la petite flibuste. À les voir ainsi sur deux rangs ânonnant de conserve, on aurait cru le choeur d'une abbaye. Ils n'étaient ni moines, ni même moinillons, mais convers. Ils étaient lais, j'étais clerc. Et le directeur chaque matin, vers dix heures, faisait son entrée dans le petit temple de l'arnaque comme l'archiprêtre dans la cathédrale.


Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Mais à cette époque je ne soufflais la bougie qu'à l'aube. J'étais équipé pour veiller tard si bien que ce matin là je n'arrivai au bureau qu'après la rafle au cours de laquelle on coffra trente sans-papiers. Le grand insipide depuis son auto qu'il avait garé sur le trottoir en face de sa cathédrale avait déjà passé commande de trente lais auprès de l'agence et recruté un nouveau clerc. Je n'avais pas la vocation et le jour avançait. Ce matin-là je n'allai pas chez les putes.

mardi 23 février 2010

Créatures et créateurs

Je n'ai jamais compris ces hommes qui d'un coup de langue vous caractérisent. Point à la ligne. Je ne les ai jamais compris, dans ce sens où je n'ai jamais vraiment saisi comment ils parviennent à rendre leurs descriptions plus vraies que la réalité qu'ils décrivent. Le plus souvent ils m'ont fait chier. Quelques fois mais en secret, loin dans ma Ford intérieure, j'ai admiré leur habileté à esquisser d'un trait votre personnalité. Ou ce qui à leurs yeux en tient lieu. Leur force créatrice me fait chier de dépit. D'envie. En quelques mots ils font de vous un personnage autour duquel se bâtit un récit de par la seule force d'évocation concentrée dans l'éjaculat précoce de leur pensée réductrice. Mais quelle efficacité !

Les événements aussi ils les maîtrisent avec la même adresse. Et vlan! Vous voilà propulsé dans la réalité. Vous perdez tout caractère fictionnel de par la vérité de toutes pièces inventée de vos propos et surtout de vos actes dont le sens est donné comme une révélation. La Révélation. À les écouter vous devenez une religion dont vous êtes le prêtre et le fidèle tout à la fois. Ils en sont les dieux.

Ils vous apprennent enfin qui vous êtes, avez été, serez. Deo Gratias. Tandis qu'ils vous inventent et font de vous des témoins de votre propre existence vous comprenez que le doute ne peut exister dans cette poix noire, épaisse. Anathema sit celui qui n'embrasse pas la nouvelle religion dont vous êtes le héros.

Ne pourraient-ils pas se contenter d'inventer des histoires que je me plairais à écouter ou à lire.

dimanche 17 janvier 2010

Page blanche et sans titre

Je suis mort il y a longtemps. Depuis je m'imagine.

J'ai quatre ans. On me l'a dit. Quatre et demi pour sûr. J'ai descendu les deux sections du long escalier de bois qui depuis le logement du troisième mène à la cour arrière que nous partageons avec Ti-Noir, Ti-Bi de l'Abitibi et les autres chauffeurs de Grand-Mère Taxi. Je suis passé devant l'entrée de service du Ritz, cuisine canadienne et repas légers, puis ai longé le long mur aveugle qui va de la cour à la rue. Un taxi de retour d'une course, une grosse Dodge de l'année, une 1949 noire comme celle que nous avions prise pour aller voir « matante sœur » à Québec, m'a croisé en regagnant le cabanon au fond dans lequel s’installent les chauffeurs dans l’attente du prochain appel, Là où la cour rejoint la rue, en pleine lumière, j'ai pris le trottoir sur la droite. Suis passé devant l'entrée du Ritz. Mademoiselle Cadotte joue les étalagistes dans la vitrine de la Pharmacie Deschamps. La belle jeune femme me regarde avec douceur. Je lui rends son sourire. Il fait bon, je m'arrête. L'air est doux. Je lui tourne le dos pour observer le bonhomme Lafrenière balayer la rue, le long du trottoir. L’homme me semble très vieux. Le dos voûté, il s’appuie sur un balai qu’il tient par devers lui, se projetant ainsi vers l’avant et s’obligeant à avancer d’un pas pour ne pas tomber. Il avance par secousses en poussant les quelques détritus qui encombrent la chaussée en bordure du trottoir. Il en fait un tas qu’il ramasse avec la pelle accroché au montant d’un tombereau qui se trouve toujours à portée en raison de l’habilité et de la longue expérience de la vieille bête qui le tire. Une auto s’arrête un peu derrière, à la hauteur du Ritz. Je me tourne dans cette direction et j'entrevois, devant chez la marchande de fruits, maman et grand-maman qui reviennent de chez « matante » Olympe, la modiste, qui n'est pas vraiment ma tante mais plutôt une cousine de grand-maman.

C’est la première fois que je vois maman dans cette situation. Sans qu’elle ne me voit ni ne sache que je la vois. Et dans un autre monde que le mien. Dans une autre univers que le domestique. Qu’elle est élégante ! Quel port ! Et ce regard qui surplombe ses alentours comme un soleil vif. Qu’elle est belle avec ma grand-mère qui trottine à ses côtés. La ville semble lui appartenir. C’est une conquérante qui s’avance. Je suis conquis. Et veux moi aussi lui appartenir. Je veux qu’elle m’embrasse, me prenne dans ses bras comme elle enlace l’univers de cette rue marchande sur laquelle nous habitons. Je gonfle mes poumons de cet air soudain si bon, me projette en courant vers elle et lui tend les bras en criant « Maman ! » tant pour manifester ma joie que pour lui annoncer ma présence et aviser les rares promeneurs que cette femme qu’ils admirent est ma mère.

Elle est surprise de me voir là. Il ne m’est pas permis de me rendre seul sur le trottoir devant la maison. Je devrais être derrière, dans la cour, à jouer avec un petit camion à benne dans un « racoin » sombre et sentant l’urine sous les galeries près de la porte de service de la pharmacie. Maman est décontenancée de me voir ainsi courir vers elle. Je la sens vite se raidir sous le regard furibond de la grand-mère. Vive, elle retrouve son aplomb au moment même où je m’élance dans ses bras.

Elle m’accueille le temps de me remettre sèchement par terre. Grand-maman a son regard dur des mauvais jours. Maman replace les plis de sa robe. Regarde autour d'elle. "À la maison, tout de suite ! On ne se jette pas ainsi dans les bras de sa mère ! Tout le monde nous regarde !" me dit-elle accélérant le pas avant d'ouvrir la porte qui donne sur le sombre escalier intérieur dont les parois en petit "V" d'un brun très dense absorbent le peu de lumière qui filtre de la rue. Grand-maman passe devant. Maman me pousse entre elles deux. Nous montons. En silence. Dans la froide pénombre.


Ovide n'a pas encore vingt ans. Le voici sur "la traverse" Lotbinère-Deschambault. Il entend se rendre à Sainte-Flore. Au poste Grand-Mère. Fils d'Alphée et de Joséphine qui cultivent la vieille terre du rang St-Édouard à Sainte-Croix, il a appris du grand-père Casimir et de l'oncle Élisée à travailler le métal dans la boutique de forge de la ferme familiale. Il est doué. Apprend vite, travaille bien et "a de l'idée".

Le XIXe siècle n'en peut plus depuis longtemps. Il est dépassé. Les bonnes terres sont rares. Les jeunes rêvent -de liberté. Certains partent pour les "factories des États". D'autres pour les villes plus proches. Des villes nouvelles, filles des forêts domestiquées et des rivières harnachées. Certains quittent la terre contre leur gré, dépités de ne pouvoir vivre comme leurs pères ont vécu. D'autres, nombreux, ne disent pas quitter la terre. Ils prétendent gagner la ville. Ils partent conquérir l'industrie. Y exercer leurs talents. Y trouver gloire et fortune. À mi-chemin sur le fleuve entre Lotbinière et Deschambeault, Ovide relève sa casquette comme pour dévisager avec l'insolence de son âge l'avenir qui se morfond de l'attendre.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Je dispose de 1200 caractères. Le reste, c'est de la frime.