Pages

samedi 27 février 2010

Une ville triste

J'ai arpenté ce matin, comme je le fais souvent, histoire de garder la forme, la rue principale de Grand-Mère qui fut le théâtre de toutes mes premières ou presque. J'en ai quelques fois occupé la scène. Le plus souvent je fus spectateur. Il m'est aussi arrivé de vivre dans les coulisses.

Malgré la neige abondante des derniers jours, les trottoirs sont bien dégagés. Le temps est doux. Au début je marche d'un pas vif, face au nordais, évitant les flaques d'eau que la fonte rapide des bancs de neige multiplie aux intersections. Je marche tête haute.

Sentant une lourdeur m'envahir j'ai ralenti le pas à la hauteur de l'église devant laquelle j'ai grandi. Ma respiration aussi se fit plus lente. Un peu plus loin, à la hauteur du "Bravo Pizzeria", une vieille dame dans un manteau trop grand pour elle et trop chaud pour le temps s'était arrêtée presque sous l'enseigne lumineuse éteinte à cette heure malgré la grisaille du jour. Elle portait aussi un bonnet de laine d'un vert encore foncé quoique délavé dont la couleur défraîchie rejoignait presque celle du manteau long qu'on pouvait soupçonner d'avoir déjà été marine. Le lacet trop long d'un de ces bottillons, comme ceux que portent les marcheurs, était détaché et pendait tortillé sur le sol. La vieille appuyée sur sa canne fixait l'enseigne tout en haut comme pour déchiffrer un sens caché derrière "steak et fruits de mer" écrit en lettre de feu. Elle ne broncha pas quand je passai près d'elle.

À quelques pas de là les anciennes vitrines de ce qui fut "chez Lampron", tabagie, plomberie, librairie et salle de quilles tout à la fois, sont maintenant habillées de stores verticaux donnant ainsi un peu d'intimité au "Café de l'amitié". Sur les vitres, sont collées des affichettes indiquant qu'on peut trouver ici de l'aide psychologique. Rendu face au rocher en forme de grand-mère qui donna son nom à la ville à la fin du XIXe siècle, je rebroussai chemin. Malgré le vent de dos, mon pas n'avait cesse de ralentir, mes épaules de se vouter, ma tête de se faire plus lourde.

Cette ville est triste de se mourir. Et je lui ressemble. Elle n'a plus d'âme depuis longtemps. C'est de cela qu'elle se meurt. Je ne devrais pas marcher seul sur la rue principale. La prochaine fois, je marcherai avec un copain et nous parlerons technologie et rénovation domiciliaire. Il fera peut-être plus froid. Il fera peut-être soleil. Nous parlerons d'autres choses avant de nous arrêter à "La place du Café". Il y aura là le patron du café qui pitonne son ordi en attendant que le travail reprenne au printemps à son atelier de fabrication de quais de bois, la patronne qui nous accueillera de son habituel "salut les gars", le retraité de la Consol qui sirotera son capuccino sucré, un vieux tireur de joint venu prendre deux toasts et un café avant d'aller donner la dernière couche, une dame presque aveugle qui en sortant s'arrêtera longtemps devant les pâtisseries pour s'imprégner de leur image toujours plus floues avant qu'elles ne disparaissent pour de bon.

Qui êtes-vous ?

Ma photo
Je dispose de 1200 caractères. Le reste, c'est de la frime.